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Études d'histoire hellénistique 1).

L'expédition de Philippe V en Asie mineure.

(201 av. J.C.)

Par Maurice Holleaux.

La bataille de Chios

La bataille navale de Chios (été 201), où les flottes unies de Pergame. et de Rhodes, commandées par Attale Ies et le navarque Théophiliskos. vainquirent celle de Philippe V et de ses alliés, est l'un des grands événements militaires de l'époque gréco-romaine 2). Polybe en a fait un long récit, très instructif, un peu trop minutieux, très clair dans l'ensemble, malgré quelques lapsus et quelques gaucheries d'expression, qui nous a été conservé 3). Il y a lieu de se poser, au sujet de cette bataille, diverses questions, que je voudrais examiner et que j'espère résoudre.

I. Le siège de Chios.

Le roi Philippe, immédiatement avant la bataille de Chios, était occupé sans grand succès à faire le siège d'une ville, qu'il investissait par terre et bloquait par mer). On voit, en lisant Polybe, que cette ville maritime était amie ou alliée des Rhodiens); on doit croire, d'autre part, qu'elle était importante et bien pourvue de défenses, à en juger par la ferme résistance qu'elle opposa aux Macédoniens "). Comment s'appelaitelle? Son nom est absent du texte de Polybe, tel qu'il nous a été conservé); et voilà longtemps qu'on fait effort pour le retrouver.

1) Cf. Klio VIII, 1908, p. 267.

2) Attale avait érigé à Pergame un monument commémoratif de la bataille: cf. Rev. Ét. Gr., 1898, p. 251, no. II (= Dittenberger Or. inser., 283), où j'ai rétabli le texte de la dédicace, mal compris par Fränkel, Inschr. v. Perg., 52.

3) Polyb., XVI, 2—9. [F (= Urbinas 102) fol. 251, Hultsch]. Ce récit a été habilement résumé par Niese, Gesch. der gr, und maked. Staat.. II, p. 584-586. Sur les sources rhodiennes où Polybe a peut-être puisé, cf. Ullrich, de Polybii fontibus rhodiis, Diss. Leipzig, 1898, p. 36-39.

5) Polyb., XVI, 6, 13; 8,5.

4) Polyb., XVI, 2, 1; 2. 3. 6) Polyb. XVI, 2, 1: ὁ δὲ Φίλιππος, τῶν μὲν κατὰ τὴν πολιορκίαν ἀντιπιπτόντων αὐτῷ κτλ.

7) Cf. Nissen, Krit. Untersuch., p. 122: den ganz unverständlichen Anfang von XVI 2, wo gar nicht gesagt ist, welche Stadt Philipp denn eigentlich belagerte; Van Gelder, Gesch. der alt. Rhodier, p. 123, note 3.

Bien des hypothèses ont été proposées. Reiske, par une confusion singulière avec les événements de l'année 200, s'est imaginé qu'il s'agissait d'Abydos: Schweighäuser 1) a laissé le choix ouvert entre Erythrai). Kymé, Smyrne et Phocée; Nissen 3) s'est prononcé pour Pergame: Niese et Cardinali1), les deux plus récents historiens de ces événements, pour Elaia. Toutes ces conjectures, également arbitraires, doivent être écartées. Comme l'avait jadis reconnu Schorn3). comme l'ont vu, après lui. Rospatt), Ihne ), Hertzberg ), Van Gelder") et Wilcken1o), la ville qu'assiégeait Philippe dans l'été de 201 n'était autre que Chios 11).

de Chios par

Rappelons d'abord que le siège sans date définie Philippe est un fait dûment attesté. On lit dans Plutarque: 1оvtov d' οὐδέν τι λειπόμενον ἔργον ἀρετῇ καὶ χρόνοις ὕστερον πολλοῖς ἐπράχθη ταῖς Χίων γυναιξίν, ὁπηνίκα Φίλιππος ὁ Δημητρίου πολιορκῶν τὴν πόλιν κτλ. 12) - et dans Appien: . . . Φίλιππος μὲν τῶν ὑπηκόων τοῖς ἐπὶ θαλάσσης στόλον ἐππαγγείλας, Σάμον καὶ Χίον εἷλε 212.13). Que le roi ait pris la ville de Chios. c'est. à la vérité, une de ces exagérations dont Appien est contumier: elle n'aurait dû abuser aucun historien moderne 14); mais qu'il ait tenté de la prendre, cela est hors de doute.

1) Dans son édition de Polybe, t. VII, p. 237.

2) De même, Matzat, Röm. Zeitrechn., p. 173.

3) Nissen, Krit. Untersuch., p. 122. Cette hypothèse, ainsi que l'avait déjà observé Schweighäuser (Ibid., p. 236-237), est particulièrement fâcheuse: Pergame n'étant pas une ville maritime, comment Philippe eût-il pu la bloquer par eau (cf. Niese, II, p. 585, note 1)? Aussi bien, l'attaque de Philippe contre Pergame, comme je le montrerai ailleurs, doit se placer, non avant la bataille de Chios, mais après celle de Ladé.

4) Niese, Ibid., 1. 1. Cardinali. Il regno di Pergamo, p. 50, 95 -96, et note 1 de la p. 96.

5) Schorn, Gesch. Griechenlands usw., p. 219.

6) Rospatt, Philologus, XXVII. p. 680, note 28.

Tout l'essentiel de la démon

stration qui va suivre se trouve dans cette note de Rospatt. Je n'ai eu connaissance de son mémoire, déjà ancien et tombé dans l'oubli, qu'après avoir achevé mon propre travail.

7) Ihne, Röm. Gesch., III, p. 9.

8) Hertzberg, Gesch. Griechenl. unter der Herrsch. der Römer, I, p. 53.

9) Van Gelder, Gesch. der alt. Rhodier, p. 123, note 3.

10) Wilcken, dans Pauly-Wissowa, s. v. Attalos I (9), II, col. 2165.

11) Cf. encore Bouché-Leclercq, Hist. des Lagides, I, p. 353.

12) Plutarch., de mulier. virtut., 3. 13) Appian., Maced, 4. 1.

14) Elle a pourtant abusé Flathe, Gesch. Makedoniens, II, p. 331; Mommsen, Röm. Gesch., 17, p. 695; Nissen, Ibid., p. 121, 325; Ihne, Ibid., III, p. 11; Hertzberg, Ibid., p. 54; Matzat, Ibid., p. 173, qui, tous, parlent de la prise de Chios. Mais il suffisait de lire Polybe (XVI, 6, 13; 8,5) pour voir que la ville de Chios était encore indépendante après la bataille livrée dans ses environs; et l'on ne voit guère, quoi qu'il ait semblé à Schorn (Ibid., p. 221), comment Philippe s'en serait emparé dans le temps qui suivit. Cf. Van Gelder. Ibid., p. 123. note 2: Niese, II, p. 583, note 5. 30*

Quand fit-il cette tentative? Pour le savoir, il ne faudra que lire avec attention, dans Polybe, le récit de la bataille navale de Chios.

1o. Tandis que Philippe poussait laborieusement le siège de la ville dont le nom reste à déterminer, les escadres alliées d'Attale et de Théophiliskos, arrivant du Nord, vinrent jeter l'ancre dans son voisinage 1). Le roi, se jugeant trop faible pour affronter l'ennemi, donna brusquement à sa flotte l'ordre de lever le blocus, de mettre le cap au Sud et de ranger la côte d'Asie, afin de gagner Samos2). Mais ce mouvement de retraite était à peine commencé que les Rhodiens et les Pergaméniens se jetèrent à la poursuite des Macédoniens et, faisant force de rames, les gagnèrent de vitesse et les obligèrent d'accepter le combat 3). D'où il ressort que la ville assiégée par Philippe se trouvait très peu éloignée du théâtre de la bataille. Or, la bataille eut pour théâtre le canal de Chios '), c'est à dire le détroit large de 60 stades qui sépare le rivage oriental de l'île de la péninsule ionienne, ou, plus exactement, la partie méridionale de ce détroit, comprise entre le promontoire d'Argennon au Sud et la ville de Chios au Nord). On voit donc qu'elle se livra à très courte distance de la ville de Chios. Première indication propre à faire croire que c'était cette ville qu'assiégeait Philippe.

2o. Le récit de Polybe permet de connaitre avec exactitude quel était l'ordre de marche de la flotte macédonienne au moment où s'engagea l'action. Elle battait en retraite, formée en une seule colonne. L'aile gauche), qui avait pris la tête sous le commandement du roi, avait

1) Polyb., XVI, 2, 1: ὁ δὲ Φίλιππος, τῶν μὲν κατὰ τὴν πολιορκίαν ἀντιπιπτόντων αὐτῷ, τῶν δὲ πολεμίων ἐφορμούντων πλείοσι καταφράκτοις ναυσίν, ἀπορεῖτο καὶ δυσχρήστως διέκειτο περὶ τοῦ μέλλοντος.

2) Polyb., XVI, 2, 2: οὐκ ἐπιδεχομένων δὲ τῶν παρόντων αἵρεσιν, ἀνήχθη παρὰ τὴν τῶν πολεμίων προσδοκίαν . . . 4: μάλιστα δ' ἐσπούδαζε ποιήσασθαι τὸν ἀναπλοῦν αἰφνίδιον, πεπεισμένος καταταχήσειν καὶ τὸ λοιπὸν ἀσφαλῶς ἤδη κομισθήσεσθαι παρὰ τὴν γῆν εἰς τὴν Σάμον.

3) Polyb., XVI, 2, 5, 7.

4) Polybe (XVI, 2, 8; 8, 9) l'appelle лógos; Strabon, 7009uóç: (XIV, 1,33) εita τὸ Ἄργεννον, ἄκρα τῆς Ερυθραίας πλησιάζουσα μάλιστα τῷ Χίων Ποσειδίῳ, ποιοῦντι πορθμὸν ὅσον ἑξήκοντα σταδίων.

5) Polyb., XVI, 8, 2: le soir de la bataille, Philippe fait mouiller ses vaisseaux près du promontoire d'Argennon. XVI, 6, 13 (cf. 8, 5): c'est Chios que gagne la

flotte rhodienne après la bataille.

6) Sur l'emploi peu correct que Polybe a fait, au début de son récit, des mots aile droite et aile gauche, en parlant de la flotte macédonienne, cf. les excellentes observations d'Ullrich, de Polyb. font. rhodis, p. 80-81: Verba illa (déziov, stórvuov zéqaç) tunc demum Macedonibus apta sunt, postquam naves converterunt, quod postea tantum fecerunt... Conversione autem in utroque cornu Macedonum confecta, scriptor iusta cornuum nomina usurpavit. Le contre-amiral Serres (Marines de guerre de l'antiquité, 1885, p. 128, note 1), dans l'étude d'ailleurs peu satisfaisante qu'il a donnée de la bataille de Chios, fait sur le même sujet une remarque dont je ne puis garantir l'exactitude, mais qui offre de l'intérêt: Aile droite, escadre de droite.

déjà presque atteint la côte d'Asie 1); elle se trouvait à peu près à la hauteur du cap d'Argennon): les petites iles où Philippe fit halte sont les deux ilots situés en face de ce cap 3). Quant à l'aile droite, placée en queue et plus lente à se mettre en branle, retenue aussi par la nécessité de couvrir l'arrière-garde, elle était encore proche de l'ile de Chios1). Ainsi, les Macédoniens se dirigeaient obliquement de cette ile vers l'Asie. Donc, la place menacée par Philippe était située à la partie orientale du littoral insulaire: il n'existe là qu'une seule ville dont il ait pu faire le siège, la ville même de Chios.

3. Polybe nous apprend encore que la bataille de Chios se décomposa en deux engagements distincts). Les Rhodiens poussèrent sur la droite) de Philippe ): Attale s'était lancé contre la gauche macédonienne et contre Philippe lui-même ). D'après ce qui a été dit plus haut, la droite des Macédoniens, moins agile que la gauche et forcée de s'arrêter dès le commencement de sa retraite, dut recevoir l'attaque des Rhodiens à proximité de la ville dont le siège venait d'être levé. Or, on voit précisément, par le récit de Polybe, que les Rhodiens combattirent aux environs de la ville de Chios, où ils se retirèrent l'action finie 9). C'est une preuve nouvelle qui s'ajoute aux précédentes, les fortifie et clôt la démonstration.

A peine est-il besoin de rappeler maintenant que Chios satisfait à toutes les conditions que nous avions d'abord marquées: que la ville était amie des Rhodiens 1o); que ses ressources la mettaient en mesure d'opposer

aile gauche, escadre de gauche, n'étaient pas, dit-il, des noms de situation, mais bien des désignations permanentes. Dans l'ordre naturel, en ligne de front, l'escadre de droite tenait la droite; en ligne de file elle tenait la tête: en ordre inverse, c'était le contraire. J'ai, dans le texte de mon exposé, rectifié le langage fautif ou, si l'on accepte l'interprétation de l'amiral Serres, ambigu de Polybe, et substitué, en soulignant les mots, gauche à droite et droite à gauche“.

1) Polyb., XVI, 5, 8; cf. 6, 4–5 (Attale jeté au rivage); 6, 11 (Dionysodoros, amiral d'Attale, fait entrer ses vaisseaux dans les hâvres de la côte d'Asie).

2) Polyb., XVI, 8, 2.

3) Polyb., XVI, 2, 8; 6, 1. Cf. Kiepert, Westl. Klein-Asien, Bl. VII; Ullrich, Ibid., p. 80. not. 1.

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6) Ici, la flotte macédonienne ayant viré de bord, les dénominations donnés par Polybe aux deux ailes de cette flotte se trouvent devenir exactes (cf. Ullrich, Ibid., p. 80-81) et pourraient être maintenues; j'ai continué d'employer, comme j'avais fait précédemment, les termes de droite et de gauche“, afin d'éviter tout embarras au lecteur.

7) Polyb., XVI, 2,7 (cf. 4,4; 5,9). 8) Polyb., XVI, 2, 7 (ef. 4, 3; 5,8; 6. 1). 9) Polyb., XVI, 6, 13.

10) Essais de médiation tentés en commun par Rhodes et Chios: Polyb., V, 24, 11: 28. 1 (année 218); 100, 9 (année 217); XI, 4. 1 (année 207). On peut croire que Chios fut au nombre des États qui, d'accord avec les Rhodiens, intercédèrent auprès de Philippe en faveur des Kianiens: Polyb., XV, 22, 4: ¿rvßoizɛt (Philippus) roig ảãò

une résistance prolongée aux entreprises de Philippe: qu'en raison de son importance, les coalisés avaient le plus grand intérêt à la débloquer et qu'ils y durent employer tous leurs efforts.

Le siège de Chios par Philippe V se place tout de suite avant la bataille du même nom et, par conséquent, dans l'été de 201.

II. Les Égyptiens à la bataille de Chios.

Dans le passage de son 1. XVI où, après avoir raconté la bataille de Chios, il dresse le bilan des pertes éprouvées par les deux partis, Polybe s'exprime ainsi: (XVI, 7, 6) ἄνδρες δὲ τῶν μὲν Ροδίων ἀπέθανον εἰς ἑξήκοντα, τῶν δὲ παρ' Αττάλου πρὸς ἑβδομήκοντα, τῶν δὲ τοῦ Φιλίππου Μακεδόνες μὲν εἰς τρισχιλίους, τῶν δὲ πληρωμάτων εἰς ἑξακισχιλίους. ἑάλωσαν δὲ ζωγρίᾳ τῶν μὲν συμμάχων καὶ Μακεδόνων εἰς δισχιλίους, τῶν δ' Αἰγυπτίων εἰς ἑπτακοσίους.

Les mots τῶν δ' Αιγυπτίων ont cause aux critiques un étonnement assez légitime: on ne s'attendait pas à trouver, à Chios, des Égyptiens dans la flotte macédonienne. Bien que la leçon soit donnée par le meilleur des manuscrits de Polybe, l'Urbinas 1), on l'a suspectée, puis rejetée. Schweighäuser 2), qui ne s'exprime du reste qu'avec prudence, après avoir énoncé l'opinion très raisonnable et - comme on le verra plus loin conforme à la vérité, qu'il pourrait ici être question d'Égyptiens tombés, à Samos, au pouvoir de Philippe, se refuse à accepter le texte traditionnel: il pense que, dans le passage en discussion, il s'agit de soldats d'Attale capturés par les Macédoniens. Niebuhr est plus prompt et plus tranchant3): In der Seeschlacht bei Chius waren keine Aegypter; nul doute, selon lui, que le mot Aiyvatior ne doive faire place à quelque autre 1).

La condamnation prononcée, non sans hésitation par Schweighäuser, sur un ton absolu par Niebuhr, a été ratifiée par les éditeurs de Polybe. Aiуvation a disparu de tous les textes récents. Schweighäuser écrivait τῶν δ' Ατταλικῶν; Niebuhr, τῶν δ' ἐναντίων. C'est la conjecture de Niebuhr qui l'a emporté: Bekker et, à sa suite, Hultsch et Büttner-Wobst substituent simplement τῶν δ' ὑπεναντίων ἢ τῶν δ' ἐναντίων. Les 700 prisonniers mentionnés par Polybe seraient des „adversaires" de Philippe.

Avant de rechercher si le texte de Polybe doit être amendé, je ferai observer que ni l'une ni l'autre des deux corrections proposées n'est satisfaisante. τῶν προειρημένων πόλεων πρεσβευταῖς, οι παρῆσαν ἐξελούμενοι τοὺς Κιανοὺς ἐκ τῶν περιεστώτων κακῶν κτλ.

1) Même leçon dans tous les manuscrits qui dérivent de l'Urbinas: voir l'apparatus de Hultsch.

2) Dans son édition de Polybe, t. VII. p. 247 (ad XVI, 7, vs. 6).

3) Abhandl. der Akad. der Wiss. Berl., 1820/1, p. 106, Anm. 2. (Ueber die armen. Uebersetz. der Chronik des Eusebius).

4) Cf. Bouché-Leclercq, Hist. des Lagides, I, p. 354, note 1: Comme il n'y avait pas de navires égyptiens à Chios, Niebuhr a corrigé la leçon Aiyvarior en vaevavtíor“.

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