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puissante et grandissante de leurs eaux. Celles-là mêmes dont le nom n'était pas significatif de leur force religieuse, n'en étaient pas moins saintes et déesses. Or, ces noms de sources, c'est en vain que vous les demanderez aux auteurs anciens, Strabon, Pline ou Ptolémée: de minimis non curat praetor. Les documents du Moyen Age vous les livreront en nombre, presque toujours sans leur faire subir de trop notables déformations. Un texte du onzième siècle nous fait connaître, dans le pays bordelais, une fons Oldeia:1) ce nom, nous le jugeons tout de suite antique, préceltique et en tout cas préromain, puisqu'il se retrouve dans celui de la rivière Oltis (le Lot), et encore de la rivière Olda (l'Oudon, affluent de la Mayenne), etc.) Voici un autre fait que les textes du Moyen Age sont seuls à nous apprendre. On sait la fréquence, dans les régions du Nord-Est de la Gaule, des Matres à noms en -ehae ou -nehae. Or, la source chaude de Dax en Novempopulanie (Aquae Tarbellicae), s'est appelée, elle aussi, Nehe: ce qui nous est dit dans les Rôles gascons.) De ce rapprochement, je ne veux encore rien conclure: mais la présence d'un tel nom en Aquitaine est un élément fort utile à noter pour qui voudra étudier à nouveau les Matres gallo-germaniques.) - Avec l'examen de ces noms topiques médiévaux, nous pouvons résoudre, presque instantanément, une foule de petits problèmes d'épigraphie et de religion antiques. Regardez dans le Corpus Inscriptionum Latinarum de la Gaule combien de divinités d'apparence celtique, chères aux faiseurs de vastes hypothèses sur les attributs et les rôles des dieux, se ramènent, grâce à des rapprochements fournis par les Cartulaires, à ne plus être que d'humbles génies locaux, tutelles de lieux, déités de sources et de fontaines.") Mars Giarinus, c'est simplement le Mars d'un ruisseau:) le Cartulaire de SaintVictor nous offre un ruisseau de ce nom.")

Ce que je dis des noms de sources est tout aussi vrai des noms de montagnes. On a découvert récemment, dans la région d'Aix-en-Provence, une inscription dédiée CELL[eo d]EO: n'allez pas faire des hypothèses celtiques sur ce nom, c'est celui que portait autrefois (et qu'en réalité porte encore) la montagne voisine du Cengle, mons Celeus dans le même

1) Cartulaire de Saint-Seurin, p. p. BRUTAILS, p. 10.

2) C'est peut-être un nom semblable, épithète des Junones d'une source, qui se trouve dissimulé dans la leçon oLDRA de l'inscription des Saintes-Maries (CIL., XII, 4101). 3) CARTE, Catalogue, t. I, p. 24 et 27; et maintenant, édit. BÉMONT, t. II, nos 1173, 1209, 1578.

4) Voyez surtout Inм, Bonner Jahrbücher, t. LXXXIII, 1887.

5) Lisez, dans le même sens, les excellentes remarques d'ALLMER sur les dieux de la Gaule, dans la Revue Epigraphique, et celles de SACAZE sur les dieux des Pyrénées (Les anciens dieux des Pyrénées, 1889; Inscriptions antiques des Pyrénées, 1892). 6) Bulletin épigraphique, t. V, p. 11; CIL., XII, 332.

7) Cartulaire de Saint-Victor, t. I, p. 26, 28, 61, etc.

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Cartulaire de Saint-Victor.1) Minuties que tout cela, dira-t-on, „, Kleinigkeiten", a-t-on même dit, si mes souvenirs ne me trompent pas: ce n'est là qu'un des mille menus détails d'une loi générale qui n'a plus besoin d'étre prouvée; à quoi bon un nom de plus, nom de dieu ou de montagne, ajouté à tant d'autres? Je réponds qu'il n'y a pas de petits détails dans la science; ce qu'elle négligeait jadis, elle en a grand besoin aujourd'hui: ces tessères de plomb dont elle a fait fi si longtemps, elle en tire à cette heure un merveilleux parti;) combien peu d'érudits se sont jadis associés aux efforts de LETRONNE, de BRUNET DE PRESLE ou d'EGGER pour déchiffrer les papyrus, alors que, maintenant, ils sont devenus une mine inépuisable d' indiscrétions" sur le monde antique!) Qui peut dire, à la vue d'un simple nom de lieu remarqué aujourd'hui pour la première fois, s'il ne deviendra pas un jour l'indispensable chaînon d'un raisonnement scientifique? Et, après tout, la toponymie est comme l'épigraphie: celle-ci n'est pas seulement la science des grandes inscriptions et des acta publica, elle est faite également des milliers d'épitaphes banales et de marques de fabrique: épitaphes et marques qui, isolées, ne prouvent rien, et qui, groupées et comparées, font en quelque sorte jaillir de leur contact des vérités de première importance. La science des noms de lieux, de la même manière, ne consiste pas seulement à disserter sur Lugudunum et Massilia, mais aussi à inventorier les moindres écarts auxquels l'humble paysan a donné un nom.

3o J'ai tantôt rappelé que l'étude des suffixes ou des radicaux des mots dérivés et composés est le meilleur moyen pour retrouver le domaine des anciennes races. Et avec FLECHIA, M. D'ARBOIS DE JUBAINVILLE, M. MEHLIS) et d'autres, je demeure convaincu que-asca marque les étapes des établissements ligures. Mais, si nous cherchons dans le livre de M. D'ARBOIS DE JUBAINVILLE combien de noms en-asca lui ont été fournis en Gaule par des documents anciens, textes ou inscriptions, nous n'en trouvons pas un seul les Gratiasca ou Manoasca lui viennent du Cartulaire de Saint-Victor et les autres d'ailleurs.5) Je n'aurai une idée nette de l'extension des Ibères dans le Sud de la Gaule que lorsque le dépouillement complet des noms de lieux aura ajouté de nouvelles Iliberris aux deux seules que les textes nous font connaître.

4o S'agit-il de pénétrer dans la civilisation celtique plus profondément que les textes et les inscriptions ne l'autorisent: nous n'avons

1) Revue des Etudes Anciennes, 1900, p. 234.

2) Je songe aux récents travaux de M. RosrowZEW dans la Revue numismatique de Paris.

3) CAGNAT, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, séance publique du 15 novembre 1901.

4) Die Ligurerfrage, I, 1899 (Archiv für Anthropologie), p. 82.

5) Les premiers habitants de l'Europe, t. II, p. 99 et suiv.

d'autres reccurs que les noms de lieux transmis par elle à la toponymie du Moyen Age. — Nous aurions, de la quantité des bourgades fortifiées de la Gaule, une notion incomplète, si à côté de Gergovie, d'Alise et de Bibracte, les Dictionnaires Topographiques ne nous apportaient pas toute une liste de -dunum ailleurs que sur les champs de bataille de César et sur les tracés des itinéraires publics.') Peu de choses sont aussi utiles, pour juger de l'organisation d'une nation ou d'une tribu gauloises, que de connaître exactement ses frontières, et par là son étendue et la nature de son domaine.) Or ce sont, pour la moitié du temps, des textes du Moyen Age qui nous indiquent les Fines des cités gauloises (Hins, Hinx, Fix, Fismes, etc.); et je ne sache pas qu'il y ait une seule *Icoranda qui nous soit venue par l'antiquité. On a souvent nié le caractère celtique du dieu Belenus, et de fait, les inscriptions au nom de ce dieu sont fort rares en Gaule: il faut cependant le placer au second rang parmi les dieux gaulois (le premier appartenant à leur Mercure), si l'on considère le très grand nombre de localités dont le nom est formé du sien.3)

5o Si nous passons à la civilisation romaine, mêmes conclusions: en dépit du nombre des textes, des inscriptions, des monuments, il faut recourir sans cesse aux sources onomastiques du Moyen Age. En voici quelques preuves entre cent. Pour apprécier le degré de romanisation des villes de la Gaule, il est bon de noter celles qui se sont bâti des Capitoles suivant la formule de celui de Rome: or, à ma connaissance, il n'y a que des textes postérieurs à la chûte de l'Empire qui nous signalent la présence de Capitoles gallo-romains.*) Il n'y a pas de recherches plus importantes pour apprécier le régime de la propriété foncière et ses conséquences que celles qu'ont provoquées les noms de lieux en -acum: on peut voir, dans les livres qui leur ont été consacrés, quelle très faible proportion de ces noms émane de documents anciens.")

1) Outre les relevés de HOLDER, cf. D'ARBOIS DE JUBAINVILLE, t. II, p. 258.
2) Cf. Revue des Etudes anciennes, 1901, p. 96.

3) WILLIAMS, Die französischen Ortsnamen keltischer Abkunft, p. 32; FOURNier, Bulletin de la Société de géographie de l'Est, 1899. De même César place l'Apollon gaulois, qui est Belenus, après Mercure (Bell. gall., VI, 17, § 2). M. MONCEAUX a commencé le relevé des noms formés de Mercurius (Revue historique, 1887, t. XXXV, p. 239 et s). Des statistiques de ce genre nous renseigneraient fort sur la popularité des dieux gaulois et de leurs avatars romains. Les noms formés de Minerva offrient, notamment, un particulier intérêt. Il est aussi utile de comparer les totaux des noms de lieux à forme divine que les totaux des statuettes de dieux conservées dans nos Musées. 4) Voyez en dernier lieu, TOUTAIN, Etude sur les Capitoles provinciaux de l'Empire romain, 1899, p. 15. Bien entendu, il est nécessaire de faire de très près la critique de ces textes; cf. AUDIAT, Le Capitole de Saintes, 1881.

5) HÖLSCHER, Die mit dem Suffix -acum, -iacum gebildeten französischen Ortsnamen (thèse de Strasbourg, 1890, entreprise sous la direction de M. GRÖBER); D'ARBOIS DE JUBAINVILLE, La Propriété foncière et les noms de lieux en France, 1890.

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Regardez combien peu de Figlinae gauloises sont mentionnées dans les dictionnaires ou les encyclopédies du monde classique, et l'on sait cependant qu'elles étaient innombrables. Les routes romaines demeurent encore un des sujets favoris des « antiquaires »: mais c'est presque toujours dans les Cartulaires qu'ils rencontreront les Quarto ou les Nonas, témoins précis des bornes milliaires disparues, et ils y retrouveront parfois le tracé de la route elle-même, sous le nom de via munita,1) via publica, vetus iter, Heidenweg?), etc.

6o Il ne serait pas impossible, enfin, que les textes du Moyen Age nous fissent connaître des noms de lieux nouveaux formés des noms de personnes historiques. C'est, après tout, un texte hagiographique qui a permis d'ajouter Claudiomagus aux Dictionnaires Géographiques.")

Le Moyen Age est l'héritier direct de l'Antiquité. Ses premiers villes ont été les castra bâtis par Dioclétien et Maximien; ses paroisses ont été les villae sénatoriales, et ses diocèses les cités des curateurs ou des comtes. Il a vécu des routes de l'Empire, de la langue de Rome, et en partie des superstitions gauloises. Il n'a pas dissipé ou remployé tout de suite l'héritage qu'il a reçu. Adressons-nous à lui pour le connaître. Si nous trouvons, au IXème siècle, Camaria ou Camarica comme nom de la Camargue, au VIème siècle, Ratis comme nom des Saintes-Maries, soyons assurés que ces noms sont anciens et qu'ils appartiennent à l'onomastique gallo-romaine ou celto-ligure.

Je demande donc à l'Association Internationale des Académies, au nom de tous ceux qui peinent faute d'inventaires généraux, de dresser le plan d'un Corpus topographicum Orbis Antiqui. Pour ce recueil au moins, la répartition de la tâche sera des plus faciles. Chaque nation "académique » prendra son domaine national, et, dans chaque Etat, les savants se grouperont par région administrative. On se partagera l'Orient suivant les zones d'influence scientifique. La France, il y a 40 ans, a eu la belle initiative de Dictionnaires Topographiques de ce genre: elle a fait déjà ceux de 22 de ses départements, un quart de la besogne.*)

1) Gallia Christiana novissima, Arles, col. 59.

2) Voyez, à propos des services que les textes du Moyen Age rendent à la connaissance des routes romaines, LONGNON apud DESJARDINS, Gaule romaine, t. IV, p. 234 et 227.

3) Sulpice Sévère, Dialogues, II, 8, 7.

Il y aurait une enquête à faire sur le vrai nom primitif de villa quam vocant Puio Neroni (Gallia christiana novissima, Marseille, col. 50).

4) Sur l'importance de cette publication, cf. la Revue des Etudes anciennes, 1901, p. 336 et s. Si l'on veut se rendre compte des services qu'elle a rendus hors de France, et notamment en Allemagne, qu'on parcoure les thèses de HÖLSCHER et de WILLIAMS, le Sprachschutz de HOLDER, et d'une manière générale toutes les publications sur l'ancien Français.

Elle l'achèvera. Les autres pays commenceront officiellement leur tâche,1) chacun chez lui. Et, faisant cela, les savants de toutes les nations rendront service à leur patrie et aux autres. Et ce sera, si je ne m'illusionne, une œuvre capitale dans l'histoire de l'érudition que ce trésor de tous les noms que les différentes langues ont trouvés pour caractériser les domaines des hommes: on aura prodigieusement enrichi à la fois la science des mots, la science des faits, la science des pensées humaines.

Université de Bordeaux, 17 Décembre 1901.

1) Cf. ce que dit, au sujet de l'Italie, PAIS, Storia della Sicilia, t. I, p. 511. Il n'entrait pas dans le cadre de cet article de faire la bibliographie de tous les travaux statistiques auxquels la toponymie a donné lieu. Je dois cependant rappeler que la Real Academia de la Historia de Madrid avait commencé une entreprise de ce genre pour l'Espagne, que les premiers travaux parus ont rendu des services infinis aux basquisants, mais que l'œuvre, depuis trop longtemps, est enrayée (cf. HÜBNER, CIL., II, p. XXIV). Je dois encore signaler, parmi les ardents protagonistes de recueils toponymiques, W. ARNOLD (cf. Ansiedelungen und Wanderungen deutscher Stämme zumeist nach hessischen Ortsnamen, 2ème éd., 1881), qui a prononcé à ce sujet de significatives paroles (Deutsche Urzeit, 1880, p. 6).

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