ภาพหน้าหนังสือ
PDF
ePub

rite chrétien, dans la liturgie des morts, semble s'être pénétré, il est concevable que l'emploi des moyens et des effets de l'art profane se trouve jusqu'à un certain point justifié. Ne nous montrons pas plus sévère que l'Eglise et ne perdons pas de vue que Michel-Ange a mis la sibylle au rang des prophètes.

Mais disons quelques mots sur la prose des Morts.

Cette prose terrible et touchante, que l'Eglise entonne aux heures où elle porte le deuil de ses enfants; cette poésie qui tantôt éclate en formidables images, tantôt en sanglots déchirants; cette grande lamentation qui contient le cri d'angoisse de l'humanité à la vue de ce jour qui doit consommer le règne du temps et ouvrir le règne de l'éternité; ce chant lugubre, ce Dies ira, ce monument de la foi qui a éclairé le monde depuis dix-huit siècles, nul ne sait dire quel en est l'auteur ni le moment précis où il a vu le jour. Il est bien vrai qu'il existe aujourd'hui des chants que toute oreille a entendus, que toute bouche a répétés, et dont les auteurs sont restés ignorés; il est bien vrai aussi que chaque cité renferme un de ces merveilleux édifices, demeure du Seigneur et maison de tous, sur les murs duquel chaque siècle a marqué son âge, chaque année sa ride, chaque fait sa date, chaque révolution sa cicatrice; mais la pierre où l'on pourrait lire la signature de l'ouvrier, cette pierre, nul ne la voit; elle est enfouie ou absente. C'est là le propre de l'art social: l'homme s'y abrite derrière la société; ce qu'il crée n'est pas son œuvre, mais celle de la croyance qu'il professe. Il n'en retire pas même le bénéfice de vivre dans la postérité. L'art individuel est plus avisé; c'est pour luimême qu'il travaille, il se nomme.

Le Dies ira a-t-il été, comme quelquesuns le prétendent, composé par un moine espagnol durant la nuit qui précéda son supplice ordonné par l'inquisition? Faut-il l'attribuer à Thomas de Cellano qui, vers 1250, fut de l'ordre des Frères Mineurs, ou, suivant l'opinion d'autres religieux du même ordre, à Bonaventure ou Matthieu d'Aquasporta, mort cardinal en 1302? Fautil dire avec quelques savants Dominicains qu'il est de Humbert, général de l'ordre, mort en 1277, ou bien, avec d'autres Dominicains, qu'il est dû à leur frère Latinus Frangipani, surnommé de Ursiniis, mort aussi cardinal en 1294? Soutiendra-t-on, avec les Augustins, qu'il est d'Auguste Bugellensis? Enfin, malgré les assertions du cardinal Bona et les démonstrations qui vont suivre, n'essayera-t-on pas d'en rapporter

(729) Lorsque cet article a été écrit, l'intéressante et savante brochure de M. Paulin Blanc intitulée : Nouvelle prose sur le dernier jour; Montpellier, 1847, in-4°, et dans laquelle il s'est montré si bienveillant pour nous, n'avait pas encore paru.

(730) Audi Tellus, audi magni maris limbus, Audi homo, audi omne quod vivit sub sole. Veniæ prope est dies,

l'honneur, ainsi qu'on l'a déjà fait, à saint Grégoire le Grand ou à saint Bernard?

L'incertitude qui règne relativement à l'origine du Dies ira est on ne peut mieux démontrée par la diversité de ces prétentions. Mais ce qui tout à la fois, nous le croyons du moins, expliquera cette diversité d'opinions et changera tout à fait la nature de la question, sera la supposition infiniment plausible que le Dies ira, loin d'être l'œuvre d'un homme isolé, est en réalité une œuvre préparée de loin en quelque sorte, l'œuvre de plusieurs hommes et de plusieurs époques, et dont le germe et les types principaux existaient, longues années avant son apparition définitive, dans les liturgies particulières de quelque monastère ou de quelque diocèse. On nous permettra de consigner ici les faits sur lesquels s'appuie notre conviction.

Il y a quelques années (en 1836 ou 1837), M. Paulin Blanc, bibliothécaire à Montpellier, découvrit, sur les feuillets de garde d'un manuscrit du x siècle, provenant de l'abbaye de Saint-Benoît d'Aniane, une prose notée en neumes.

La pièce découverte par M. Paulin Blanc contient évidemment le germe des idées qui sont le sujet du Dies ira. Elle se compose de vingt-deux strophes en prose poétique, où l'on reconnaît de loin en loin le retour des rimes, à en juger par un calque que nous devons à l'obligeance du savant bibliothécaire (729). « L'écriture appartient incontestablement à la forme graphique franco-saxonne qui précéda de plus d'un demi-siècle la forme caroline dite renouvélée, et assure au monument en question une date antérieure au x' siècle. »

Voici un fragment de cette prose:

Que la terre écoute! que les rivages de la grande Que l'homme, que tout ce qui vit sous le soleil [mer. Lécoute!

Le jour du pardon est proche! Le jour du châtiment suprême, le jour terrible, af[freux,

Où le ciel doit s'évanouir, le soleil se calciner,
La lune se voiler, la lumière s'obscurcir,
Où les astres tomberont sur la terre.
Hélas! misérables! misérables! pourquoi, homme,
Courir après de vaines joies '

Jusqu'à présent la terre est demeurée ferme sur ses

bases;

Ce jour-là, elle vacillera comme l'onde des mers..... [etc., etc. (730).

Le jet et le mouvement du Dies ira se font déjà sentir dans cette pièce, mais ils sont bien plus apparents dans une autre pièce rapportée sous le titre : Versus de die judicii que Bottée de Toulmon nous a fait

Iræ suprema dies, dies invisa, dies amara,
Qua cœlum fugiet, sol erubescet,
Luna mutabitur, dies nigrescet,
Sidera super terram cadent.

Heu! miseri! heu miseri! quid, homo,
Ineptam sequeris lætitiam!

Bene fundata hactenus mansit terra;

Tunc vacillabit velut maris unda.... etc., etc.

connaître et que l'on voit à la bibliothèque Richelieu, dans un manuscrit provenant de Saint-Martial de Limoges, sous le n° 115, ancien fonds. Celle-ci est composée, comme le Dies iræ, de vers dits rhythmiques de huit pieds. Les strophes sont de six vers. Ce manuscrit est du XIe siècle. Il est visible que nous nous rapprochons de la forme de la prose des Morts.

Lorsque l'éternelle flamme
Dévorera l'orbe terrestre

Lorsque le feu terrible redoublera de fureur,
Lorsque le ciel se ploiera comme un livre,
Lorsque les astres tomberont, ce sera le signe
Que la fin des siècles arrive.

Jour terrible, jour de colère.
Jour d'ombre et d'obscurité,

lour de clairons, jour de trompettes,
Jour de deuil, jour d'épouvante,
Où le poids des ténèbres
Tombera sur les pécheurs!

Quelle frayeur descendra du ciel,
Quand le roi courroucé s'avancera..... etc.,
Letc. (731).

Observons avec Bottée de Toulmon que Je premier vers, le vers le plus saillant du Dies ira, ouvre ici la seconde strophie. De plus, ce vers est visiblement indiqué dans la pièce de M. Paulin Blanc: Dies illa tremenda, dies calamitatis. Dans la filiation nous saisissons le trait de ressemblance.

Un pas de plus, - car, dans le christianisme où tout est lent, les pas se marquent par siècles; - un pas de plus, et nous touchons au Dies ira. Mais ici, nous rencontrous tout à coup un troisième monument dont la date est certaine. C'est le fameux répons Libera qui fait partie des prières de l'absoute. Ce répons est de Maurice de Sully, évêque de Paris, qui le fit chanter dans son église en 1196. Or, ce répons a précédé le Dies ira, puisque cette prose est la dernière pièce qui soit entrée dans la liturgie de l'office des morts. Si, d'un autre côté, nous observons que le Dies iræ est une séquence, que ce genre d'hymnes, déjà fort amélioré aux XI et XIIe siècles, fut porté à sa perfection vers le commencement du XIII, nous rapporterons à cette dernière époque l'apparition du Dies ira, qui, avec le Lauda Sion, son contemporain, peut être regarde comme le modèle le plus accompli de cette sorte de poésie liturgique (732).

Maintenant, plus d'essais, de tâtonnements. Le Dies ira, longtemps ébauché, a

(731) Cum ab igne rota mundi

Tota cœperit ardere,
Sæva flamma concremare,
Coelum ut liber plicare,

Sidera tota cadere,

Finis sæculi venire.

Dies iræ, dies illa,
Dies nebulæ et caliginis
Dies tubæ et clangoris,
Dies luctus et tremoris,
Quando pondus tenebrarum
Cadel super peccatores.

enfin trouvé sa forme. Le moule est coulé, il est indélébile. Les strophes en jaillissent brûlantes, emportées par leur rhythme ternaire et roulant sur leurs rimes uniformes. Le Dies iræ est consacré.

Sans doute, entre les traditions relatives à l'origine du Dies ira, nous aimerions voir triompher celle qui l'attribue à ce moine espagnol condamné par l'inquisition et suivant laquelle la víctime aurait pour ainsi dire improvisé cette poésie lugubre en face du bocher. Cela serait poétique et beau. Malheureusement cette hypothèse, si séduisante aux yeux de l'imagination, tombe devant la raison et les faits. Qui ne sent que le Dies ira, composé dans une semblable situation, aurait certainement été le résultat de l'inspiration du moment, une œuvre originale, comme d'un seul jet. Nous voyons, au contraire, qu'il a plusieurs antécédents dans la liturgie. Il est donc inutile de chercher l'auteur de cette prose, dont l'histoire est celle de la plupart des productions de ce que nous avons appelé l'art social. Comme l'art social est le fruit lent et graduellement élaboré des inspirations d'une époque et d'une croyance, il parcourt une série de phases diverses avant d'arriver à son complet développement. Crescit occulto velut arbor avo, c'est ce que l'on peut dire d'une foule de monuments de l'art du moyen âge, parti culièrement de ceux du plain-chant et de l'architecture gothique, monuments presque toujours polyonymes quand ils ne sont pas anonymes.

Mais il faut descendre à présent à l'art profane, et, laissant à l'art religieux et social ce caractère auguste, incommunicable, d'autorité, de majesté, nous avons presque dit d'authenticité, que son rival sera toujours tenté de lui envier, nous examinerons de quelle manière cette liturgie de la messe des Morts, si admirablement complétée par la prose Dies ira, a inspiré les compositeurs modernes qui n'ont pas craint de lutter avec une pareille poésie, avec ce plain-chant surtout, dont nous n'avons pas encore parlé, parce que ses beautés sont d'une nature qui échappent aux formes ordinaires de l'analyse. Nous le dirons tout d'abord : la science moderne avec ses séductions, ses combinaisons, ses ressources, ses effets, n'a rien produit qui puisse approcher du simple plainchant du Dies ira. Cette mélodie, nue comme la mort, aux tons crus, aux contours anguleux et abruptes, a quelque chose qui

Qualis pavor tunc aderit

Quando rex iratus venerit... etc.

(732) Institutions liturgiques, par D. Prosper Gut. RANGER, abbé de Solêmes; 1840, tom Ier, passim, pp. 261, 302, 303, 307, 349, 350. - M. de Cambis-Velleron, décrivant un missel manuscrit du commencement du XIIIe siècle, dans lequel se trouvent plusieurs messes de Morts, observe que la prose Dies ir ne se trouve dans aucune de ces messes; et il attribue cette prose, selon les uns au cardinal des Ursins (De Ursiniis), mort en 1278, et suivant d'autres an cardinal latin Malabranca, Dominicain, mort en 1294. (Catalogue raisonné, p. 60.)

frappe de stupeur et qui glace jusqu'aux entrailles; et, ce qu'il y a d'admirable, c'est que la même période mélodique se prête aussi merveilleusement à l'expression de la terreur qu'à l'accent de la supplication. Aussi, loin de nous toute idée de comparaison entre deux choses qui procèdent de deux principes opposés, qui appartiennent à des ordres d'idées différents entre l'art liturgique et l'art proprement dit, entre le plain-chant et la musique.

La constitution de l'un est productive de l'expression calme et céleste; la constitution de l'autre engendre l'expression terrestre et passionnée. La puissance de la musique moderne réside dans la dissonance ou la

modulation, élément d'agitation, de trouble, de tout ce qui est propre au drame. L'expression du plain-chant est tout entière dans l'élément du repos parfait et qui exprime l'absorption de l'être fini dans la contemplation de l'être infini. Cela se prouve, cela s'est prouvé jusqu'à l'évidence, par l'analyse des deux tonalités propres, l'une à la musique mondaine, l'autre au chant ecclésiastique. Les partisans des messes à grand orchestre auront beau entasser sophismes sur sophismes, en invoquant je ne sais quel sentiment religieux, je ne sais quelle couleur religieuse, il restera éternellement à fixer les limites de cet art prétendu religieux et de l'art mondain, et l'objection de la confusion des genres se représentera éternellement.

Aujourd'hui même, pour tout homme doué du sentiment des hautes convenances des choses, l'introduction de la musique mondaine dans le sanctuaire a tout à la fois quelque chose de faux et de choquant, autant pour le goût de l'artiste que pour la piété du fidèle, et il n'est pas nécessaire d'être chrétien pour sentir que les accents du plain-chant sont les seuls qui puissent s'allier avec l'austère poésie des textes sacrés, comme les seuls qui puissent dignement retentir sous les voûtes de la basilique.

Les messes des Morts les plus connues aujourd'hui ont eu pour auteurs Palestrina, Jomelli, Mozart, Cherubini qui en a fait deux, et enfin M. Berlioz.

Nous n'enregistrerons que pour mémoire la Missa pro defunctis de Palestrina. Il est visible que ce grand homme n'a pas rattaché cet ouvrage à l'idée d'une solennité particulière et qu'il l'a écrite dans le seul but de compléter le service des chanteurs dont il avait la direction, aux offices de comméinoration des morts, dans la chapelle Sixtine. Cette œuvre, du reste, ne contient ni l'introit ni la prose. Sous le rapport de l'étendue, elle a donc moins d'importance que les messes ordinaires du même maître, et, sauf l'offertoire, morceau réellement digne de lui, les fragments qui en ont été exécutés nous ont montré qu'elle leur était fort inférieure.

Après Palestrina, la messe de Jomelli, in

titulée également Missa pro defunctis, a joui longtemps d'une grandé célébrité. Nous ne saurions fixer l'époque précise à laquelle cet ouvrage fut composé. L'auteur était né en 1714, année de la naissance de Gluck, et, comme Gluck, il commença d'écrire fort tard. Il est à croire que cette messe de Requiem vit le jour pendant les vingt ans que Jomelli passa à Stuttgard en qualité de maître de chapelle du prince de Wurtemberg. Au point de vue liturgique, cette messe est plus complète qu'aucune de celles du même genre dues aux autres compositeurs, car outre l'introit et la prose, elle contient encore le Libera qui, comme nous l'avons dit, se chante à l'absoute. Nous sommes ici en pleine musique moderne. Une révolution fondamentale s'est opérée depuis un siècle et demi dans l'art musical. A l'harmonie consonnante du prince de l'école romaine a été substitué le système d'harmonie basé sur la dissonance. Mais le style pittoresque n'existe pas encore. Ni Jomelli, ni Pergolèse, dans son Stabat, ne songent à demander à l'orchestre l'éclat de ses images et de ses couleurs; un simple quatuor d'instruments à cordes leur suffit pour accompagner les voix et soutenir l'harmonie. Le P. Martini blåmait Pergolèse de n'avoir fait aucune différence entre le style du Stabat et celui de ses ouvrages dramatiques. Si jamais reproche ne fut plus fondé, jamais il n'en fut de plus inutile. Il s'adresse avec une égale justesse à Jomelli, à Haydn, à Mozart, à Cherubini. Ce n'est pas la faute des compositeurs, mais celle du système qui a triomphé. Mais ce qui surprendra bien des personnes aujourd'hui, c'est que la messe des Morts de Jomelli est écrite d'un bout à l'autre en ton majeur. Ceci est remarquable, et prouve qu'avec des idées de convenance bien arrêtées, les compositeurs d'une ce.taine époque n'attachaient pas la même importance que nous à des choses qui nous paraissent rigoureuses. Quoi qu'il en soit, l'œuvre de Jomelli, ne contint-elle qu'un morceau de la force de l'Introit, serait digne de sa réputation. Ce début est grand et majestueux; le motif est dessiné avec calme et lenteur par les instruments pendant les quatre premières mesures, et dès la cinquième, les voix entrent doucement sur les mots Requiem æternam. C'est bien là le repos éternel, cette paix sans fin que l'Eglise demande pour ceux qui ont combattu pendant leur vie terrestre. Le Dies ira n'est pas sur ce ton. Ainsi que nous venons de le faire entendre, pour apprécier un morceau de cette étendue, il faudrait se désintéresser des préjugés habituels relatifs à notre art, s'isoler des circonstances actuelles, faire la part des formes reçues à une époque déjà loin. de nous, et se rendre compte de certaines convenances dont la raison nous échappe. Citons pourtant, entre autres fragments, le Pie Jesu, et le retour du Requiem dans le Libera, morceaux d'un grand style, d'une belle et touchante expression, qui montre qu'après tout le génie sait, à ses instants,

élargir le cercle des théories contemporaines, s'élever au-dessus de son temps, et plier les formes de convention à des inspirations dignes de l'art qui ne meurt point.

La circonstance à laquelle on doit le Requiem de Mozart est trop connue pour que nous nous croyions obligé de la rappeler. Cet ouvrage fut le dernier de l'auteur de Don Juan, el, bien que resté inachevé et qu'il ait été terminé par une main habile et discrète, qui sut déguiser sa touche sous celle du maître, il peut être considéré comme un des chefs-d'œuvre les plus originaux sortis de la plu:ne de ce génie créateur et fécond. Cette tristesse intime, cette suave mélancolie dont toutes les productions de Mozart, même les plus légères, sont empreintes, il les exhala dans cette œuvre suprême qui, ainsi qu'il se l'était dit à lui-même, averti par un pressentiment trop sûr, devait être chantée autour de son cercueil. Ici encore une nouvelle révolution s'est accomplie, due presque en totaité à Mozart lui-même; une révolution partielle dans certaines formes de style; une révolution compiète dans l'instrumentation. La musique pittoresque est créée. Les diverses sonorités des instruments habilement mélangées et groupées, ou savamment opposées entre elles, les timbres variés de l'horchestre vont fournir au compositeur des couleurs au moyen desquelles il reproduira les images du texte liturgique. Mais quelle sobriété daus l'emploi de ces moyens! Mozart se garde bien de faire un tableau; il se contente d'esquisser le principal trait; l'imagination fait le reste, et comme le musicien évite de borner l'action de cette faculté chez son auditeur, l'impression que celui-ci perçoit est toujours à la hauteur du sujet. Ainsi, le Quantus tremor est futurus est peint par un vigoureux tremolo de deux mesures; ainsi, une phrase de trombone de trois mesures signale le Tuba mirum; ainsi, dans l'offertoire, la figure De ore leonis est indiquée par un saut brusque des violons de l'octave aiguë à l'octave inférieure. Voilà pour la partie poétique. Daus la partie consacrée à la prière, à la supplication, aux gémissements, l'auteur emploie un tout autre procédé. Les images, les couleurs disparaissent et font place à l'accent du cœur, au cri de l'âme. Ce sont, tantôt des sanglots entrecoupés, comme ceux que l'on entend sur les vers Cum vix justus sit securus; tantôt un trait d'orchestre menaçant et terrible, comme celui qui accompagne le verset Rex tremenda majestatis, et qui, tout en conservant sa forme et son dessin, change tout à coup de caractère et d'expression sur les paroles : Salva me; tantôt le triple élan sur lequel s'élèvent les trois vers de la strophe Ingemisco tanquam reus; tantôt l'accord déchirant qui opère la résolution des deux périodes suivantes : Qui Mariam absolvisti et latronem redemisti; tantôt comme dans le Voca me cum benedictis, les placides accents des élus opposés aux imprécations des réprouvés; tantôt la triple

periode enharmonique et le triplo crescendo de l'Oro supplex, qui peignent si merveil leusement le pécheur demandant grâce, prosterné le front dans la poussière, la poitrine gonflée de soupirs; tantôt enfin, cette mélodie pleine d'angoisse du Lacrymosa, où toutes les voix réunies s'élèvent, se prolongent et montent sans fin, et retombent ensuite épuisées pour s'éteindre dans le silence.

La messe des Morts de Cherubini (celle qu'il écrivit pour les funérailles du duc de Berry, car nous n'avons pas dessein de parler de son Requiem pour voix d'hommes, ouvrage de la vieillesse de l'auteur, et qui, malgré d'incontestables beautés, n'en est pas moins fort loin du premier dont il reproduit fidèlement le calque) la messe des Morts de Cherubini, disons-nous, est sinon composée d'après un système, du moins d'après un point de vue différent de celui de Mozart. Mozart avait conçu son œuvre sous une forme analogue à celle de l'oratorio; il avait divisé sa prose en plusieurs morceaux de divers caractères, ce qui lui avait permis d'y intercaler des soli, des quatuors, des ensembles et des chœurs. Après avoir ménagé les forces de son orchestre dans deux mouvements que lui a inspirés le Requiem æternam, tous les deux admirables de noblesse et d'onction funèbre, Cherubini prend la prose en bloc; il en fait un grand chœur, une action dramatique où tout se suit sans interruption. Il faut reconnaitre que ce plan est plus conforme à l'idée du Dies iræ. La rapidité de cette marche est peu compatible, il est vrai, avec cette recherche de détails, cette curiosité de travail et ces finesses d'intentions auxquelles Mozart s'est laissé aller si complaisamment. Mais jamais le tumulte, le désordre, la confusion que nous nous figurons devoir précéder la scène du jugement dernier ne furent retracés sous des traits plus vigoureux et d'aussi sombres couleurs; l'on croit voir l'ange de la colère céleste chassant, le glaive en main, la foule tremblante des mortels et les poussant pêle-mêle au pied du trône du juge inexorable. Le Mors stupebit qui dans Mozart passe inaperçu, ici vous remplit d'effroi. Si le Requiem de Mozart se distingue surtout par une expression tendre et pathétique, c'est par la peinture de la terreur que celui de Cherubini est remarquable. Il est pourtant deux morceaux, le Pie Jesu et l'Agnus Dei, véritables chefs-d'œuvre dans ce chefd'œuvre qui, pour l'expression poétique et profondément élégiaque, pourraient le disputer à Mozart: le caractère de l'Agnus sur tout, lugubre dans le début, par degrés s'adoucit et s'éclaire comme d'un rayon séraphique; on sent que la prière est exaucée aux cieux avant qu'elle ne soit achevée

sur la terre.

On conçoit aisément qu'avec son instinct des grands effets, M. Berlioz ait essayé de s'inspirer du géme de Michel-Ange et de reproduire en musique la page gigantesque du jugement dernier. Chargé, en 1837, de

écrite par opposition au déchant que l'on improvisait au lutrin.

Res facta, suivant Tinctoris, est quod cantus compositus; chant composé, c'est-à-dire écrit, opposition aux contrepoints improvisés, chants sur le livre, etc.

composer une messe de Requiem, pour un service funèbre en l'honneur des victimes de Juillet. M. Berlioz écrivit l'ouvrage que nous connaissons; toutefois, la cérémonie projetée n'eut pas lieu, et la nouvelle partition fut exécutée dans l'église des Invalides aux obsèques du général Damrémont. Dans l'un et l'autre cas, on mettait à la disposition de l'auteur un local vaste et sonore, ainsi que toutes les ressources dont il pouvait avoir besoin. M. Berlioz en profita largement; il s entoura d'un personnel et d'un matériel énormes. La prose fut conçue dans les proportions de la musique de festival. L'effet répondit à tant d'efforts. A cette grande phrase de plain-chant articulée d'abord par les basses, à ces accents timides des soprani, à ces deux motifs marchant ensemble, à ces mouvements impétueux de l'orchestre aussitôt comprimés, à cette fanfare des cuivres qui éclate sur le Tuba mirum et semble se répercuter aux quatre coins du monde, à ces syncopes terribles, à ces convulsions de l'univers qui s'abîme dans le néant, à ces voix menaçantes qui s'élèvent sur le roulement profond des timbales, à toutes ces images présentées avec une si effrayante réalité, on éprouve un frémissement involontaire et l'on se sent dominé par un génie puissant qui se joue au milieu des plus grands effets.

L'Introit, le Quærens me, le Lacrymosa, le Sanctus, l'offertoire (fugue instrumentale qui se déroule sur un choeur vocal de deux notes), sont des morceaux pleins de beautés originales et grandioses.

Mais quand nous assistons à l'exécution de certaines œuvres contemporaines, nous ne savons pourquoi nous ne pouvons nous défendre d'une pensée triste, à l'idée que ces productions admirées aujourd'hui seront peut-être oubliées dans un certain nombre d'années, soit parce qu'elles auront cessé d'être en rapport avec les moyens d'exécution, soit parce que l'on ne saura plus en pénétrer le sens et l'esprit. Cette pensée nous vient surtout à propos de ces compositions que l'on nomme religieuses, parce qu'elles ont été inspirées par les textes sacrés. Oui sans doute, ces messes de Requiem, ces Te Deum, sont bien beaux, bien imposants au point de vue de l'art. Notre esprit, néanmoins, en revient toujours malgré nous au plain-chant de l'office des Morts, à ce Dies ira, à ce De profundis en faux-bourdon que de simples chantres entonnent auprès de la bière du pauvre comme autour du catafalque du riche? Ce plain-chant ne suffit-il pas à la prière, à la foi, à l'appareil même de la mort?

faut-il donc donner le change à la douleur par ces pompes importunes? Depuis plus de six cents ans, les fidèles versent des larmes et les essuient aux accents du Dies iræ. Dans six cents ans, la douleur n'aura-t-elle plus besoin d'être consolée, et la mort ne sera-t-elle plus la même?

[blocks in formation]

<< Tinctoris, dit M. Fétis, donne les définitions des différences qui existent entre la composition des res facte, le contrepoint simple, et le contrepoint vulgaire, ou chant sur le livre, dans le vingtième chapitre du second livre de son Traité du contrepoint. Gerson en parle aussi en détail dans son traité intitulé: Utilissime musicales regule cunctis summopere necessarie plani cantus, simplicis contrapuncti, rerum factarum, etc. Enfin on trouve quelque chose concernant cette composition, mais seulement à l'égard des figures de notes qu'on y employait, dans les Rudiments de musique pratique, réduitz en deux briefz traictez, par Maximilien Guilliaud; Paris, Nicolas Du Chemin, 1554, in-4 obl. » (Esquisse de l'hist. de l'harm., p. 27.)

Selon M. Fétis, on donna le nom de res factæ aux premiers essais de canon à deux voix, vers le milieu du xv siècle. Mais il ne cite pas Lebeuf qui dit que res factæ étaient ce qu'on appelait figmenta que chantaient les cantatores figmentarii (p. 72 de son Traité), comme nous l'avons vu à l'art. FIGMENTA. RÉSOLUTION. On nomme résolution, dans la musique, la succession d'un accord consonnant à un accord dissonant. Comme l'accord dissonant est nécessairement l'élément de transition d'une consonnance à une autre consonnance, élément de repos, on dit que l'accord dissonant ou l'intervallo dissonant (qui sonne double) se résout sur l'accord consonnant (qui sonne avec, cum). RÉSONNANCE. « On dit d'un bourdon de quatre pieds qu'il résonne ou sonne huit pieds. Une trompette n'a quelquefois que sept pieds, si elle est de même taille; on dit cependant qu'elle est de huit pieds en résonnance, ou qu'elle sonne huit pieds. On peut dire de même de la voix humaine, de la régale, du basson, quoique ce soient de forts petits jeux, qu'ils sonnent huit pieds ou qu'ils sont de huit pieds en résonnance.» (Manuel du facteur d'orgues; Paris, Roret, 1849, t. III.)

RESPONSAIRE.- Livre d'église qui contient les répons.

RETARD. Le retard d'une note est l'ef

fet de la prolongation de la note qui a précédée. L'artifice de la prolongation et du retard a donné lieu, dès le XIV siècle, à des modifications d'harmonie qui ont amené ce qu'on appelle le style syncope,

les dissonances artificielles, etc., dont on a tiré un si grand parti dans le contrepoint et dans le style lié pour l'orgue.

RÉVERBÉRATION (Reverberatio). - Mot qui veut dire l'action de refrapper, et qui exprime une figure d'ornement du chant. Suivant un musicien encyclopédiste du xin siècle, que M. T. Nisard ne nomme pas : Reverberatio est brevissimæ notæ ante canen

42

« ก่อนหน้าดำเนินการต่อ
 »