ภาพหน้าหนังสือ
PDF
ePub

Cette dernière tradition est rapportée par Pline d'après Gellius1). Cn. Gellius, qui composa des Annales détaillées de Rome, était un contemporain de Caton l'ancien 2). Le floruit de Caton se place entre 200 et 170. C'est donc à cette époque que remonte le premier texte latin relatif à Marsyas; un Romain ne peut guère avoir eu l'idée de faire un sort à Marsyas dans les légendes italiotes sans un motif particulier: ce motif paraît être précisément l'arrivée à Rome de la statue de Marsyas.

*

*

,,

II

D'où venait cette statue? On a généralement parlé de quelque ville de Grande Grèce" 3). On eût été fort embarrassé de préciser. n'y a eu, pas plus en Grande Grèce qu'en Grèce, de culte de Marsyas1). Marsyas n'a été vénéré qu'en Phrygie et le centre de son culte a été la ville où le torrent du Marsyas prend sa source: Apamée Kibôtos.

Or, au printemps 189, Cn. Manlius Vulso menant, sous prétexte de pacification, une campagne de pillage et de spoliations dans le sud de la Phrygie, avait, entre Sagalassos et Synnada, campé ad Rhocrinos fontes 5), un village voisin d'Apamée; le prince Séleukos y vint d'Apamée

1) Plin. III, 108 (Fr. Hist. Rom. de Peter I, 167, 8): Gellius auctor est lacu Fucino haustum Marsorum oppidum Archippe, conditum a Marsya duce Lydorum. Archippé est un nom amazonien comme on en rencontre tant en pays lydophrygien (faut-il rappeler à ce propos que l'Etym. Magnum parle d'une Amazone Khen qui aurait passé de Troade en Italie et y aurait fondé une ville?); la légende de la ville engloutie dans un lac se rencontre aussi en pays lydo-phrygien (lac Gygée, lac Tantalis, lac Bistonis). On peut donc croire que Gellius a adapté des traditions venues de l'Asie grecque.

2) Il avait prononcé contre M. Caton un discours pour L. Turius, Gell. XIV, 2, 21.

3) Huelsen-Jordan et Thédenat, loc. cit. Ces auteurs n'ont pas allégué les seuls documents qui pourraient venir à l'appui de cette conjecture, les figurines trouvées à Tarente et à Syracuse qui représentent Marsyas à oreilles d'âne et grande barbe, l'outre sur le dos (Winter, Terrakotten-Typen I, pl. 217, 7). Mais le fait que ces figurines nous soient connues dans ces villes n'est dû qu'au hasard des découvertes; le type, comme toutes les variantes du Silène ou du Faune à l'outre, a dû être répandu par tout le monde hellénistique. On répète que le Marsyas du Forum se rapporte à un original attique du IVe siècle; mais on serait bien embarrassé de citer un seul monument, autre que les figurines que je viens d'alligner, où Marsyas soit représenté portant son outre. Sur les monuments de Marsyas dérivés de la statue de Myron ou de la peinture de Zeuxis, voir en dernier lieu, A. Caputi, Rendiconti dei Lincei, XIX (1910) p. 887-932.

4) On ne saurait tirer parti du fait que, dans un passage qui n'est qu'un tissu de confusions, Ampelius parle (Lib. Mem. 8) du Marsiae corium parmi les dépouilles exposées au temple d'Apollon à Sicyone.

5) Liv. XXXVIII, 15. Sur ce texte incertain, cf. Ramsay, Cities and Bishoprics of Phrygia p. 711 et 456. Une sorte de pélerinage auprès du Marsyas d'Apamée s'imposait peut-être d'autant plus aux „hellénisants" de l'armée romaine que

lui donner des guides et ramera à Apamée les bagages et les malades de l'armée romaine. Avant de descendre en Pisidie, le consul s'était déjà arrêté à Antioche du Méandre, également voisine d'Apamée, et c'est sans doute d'Apamée que Séleukos était venu alors approvisionner l'armée1). C'est à propos de ce passage que Tite-Live fait mention de la dispute d'Apollon et de Marsyas. On sait que cette dispute aurait eu lieu au bord du lac Aulokrène. Au bord de ce lac, qui a été identifié aux Rhocrini fontes de Tite-Live, un temple paraît s'être élevé, à l'emplacement où la dispute aurait eu lieu.

A Apamée même, la grotte au pied de l'Acropole d'où sourdait le Marsyas passait pour conserver la peau écorchée de Marsyas.

Au retour de son expédition victorieuse contre les Galates, au début du printemps 188, Manlius campa pendant trois jours à Apamée; après une razzia en Pamphylie, il y revint pour conclure la paix avec Antiochos 2). Pendant ce séjour dans la ville ou dans son passage au bord du lac voisin, Manlius a donc pu faire enlever la statue qui fut transportée au Forum. Sans doute, dans la description de son triomphe, Tite-Live ne mentionne pas nommément des statues; mais il remarque que c'est avec l'armée de Manlius que les objets d'art et les articles de luxe de l'Asie envahirent Rome 3). Cette observation. jointe à l'allusion à la légende de Marsyas que nous avons relevée, constitue déjà une présomption en faveur de notre hypothèse. Si même l'on ne pouvait réunir d'autres présomptions, je pense qu'on ne saurait trouver d'hypothèse plus vraisemblable que celle qui se réduit à ces termes: le Marsyas est arrivé à Rome entre 200 et 170; il n'a pu venir que d'Apamée; Manlius a précisément sé

le dieu passait pour avoir repoussé de la ville les Galates grâce aux eaux de son fleuve et aux airs des roseaux qui lui servaient de flûte (Paus. X, 30, 9). La peau de Marsyas passait pour résonner aux accents du mode Phrygien, Ael. Hist. var. XIII, 21.

1) Liv. XXXVIII, 13. On sait qu'Apamée avait, été dans l'hiver 191- 90, le quartier général d'Antiochos III (Liv. XXXVII, 8 et 18) et les Séleucides y avaient un palais (XXXV, 15); Antiochos s'y était retiré après Magnésie (XXXVII, 44). Je crois que, si Manlius avait manifestement évité Apamée en 189, c'est qu'il risquait d'y trouver les débris de l'armée syrienne.

2) Liv. XXXVIII, 37.

3) Liv. loc. cit. Que l'habitude était dès lors prise par les généraux romains de rapporter à Rome les dépouilles artistique de leurs conquêtes, il suffit pour le prouver de rappeler comment Fulvius Nobilior agit à Ambracie en cette même année 189, Pol. XXI, 30; Liv. XXXVIII, 9, 13. Un siècle plus tard, sans parler des Sylla, des Verrès, des Antonius et des Dolabella, on voit des gouverneurs honnêtes n'agir pas autrement: comme Ahenobarbus a rapporté de Bithynie l'autel aux Néréides de Scopas, Sosius rapporte, vers 38 av., de Séleucie du Kalykadnos le groupe des Niobides qui y avait un caractère religieux vu le culte de Niobé en Cilicie (cf. E. Maas, Neue Jahrb. XIV, 1911).

journé à Apamée en 188; c'est donc de là et par lui que la statue a dû être transférée à Rome.

[merged small][merged small][ocr errors]

Reste à se demander pourquoi la statue a été transportée à Rome et pourquoi elle y a reçu la place d'honneur qui a fait son renom, entre le tribunal prétorien et le Lacus Curtius, au pied du figuier sacré. Sans doute, beaucoup d'autres statues ont été transportées d'Asie à Rome au cours de la conquête; mais aucune n'a reçu une pareille place, qui l'incorporait en quelque sorte aux plus vieilles traditions nationales. Il semble qu'on ne l'ait pas traitée comme une simple œuvre d'art. mais presque comme une statue de culte on la couronnait de fleurs1) et son transfert ne laisse pas de rappeler celui de la Magna Mater de Pessinonte en 204).

Ce rapprochement n'est sans doute pas une simple coïncidence. D'abord, pour le Marsyas d'Apamée comme pour la Cybèle de Pessinonte. ce sont les rois de Pergame qui ont pu en favoriser le transfert: on sait que c'est par leur intermédiaire que la Mater Idaea fut obtenue en 204; maîtres d'Apamée par le traité qui y fut signé en 188, ils ont dû, sinon pousser, au moins consentir à l'enlèvement. Or. c'est à cette époque que les Romains commencent à se prévaloir de leur origine phrygienne et l'on ne voit guère qui, sinon les rois de Pergame, aurait en intérêt à les en persuader; c'est évidemment d'accord avec Attalos I que les Romains ont comblé de privilèges Troie, qui formait enclave dans son royaume, affirmant par là leur descendance troyenne3). L'habile Pergaménien vit sans doute, dans ces prétentions, la meilleure façon d'intéresser l'orgueil romain à défendre contre son rival Antiochos III ce que le langage diplomatique de l'époque appelait „la liberté de l'Asie". S'il jugeait plus prudent de ne pas intervenir directement, lui ou ses complices -- pouvaient parler par le truchement des Livres Sibyllins: ce sont eux qui auraient prescrit le transfert de la Magna Mater à Rome: quand on les voit intervenir pour défendre à Manlius de franchir le Taurus et se faire écouter du

[ocr errors]

1) Que cette parure n'était pas seulement, comme on l'a dit, due à des avocats reconnaissants où à des plaideurs heureux et qu'elle avait un caractère religieux, c'est ce qu'atteste l'histoire du jeune homme condamné aux fers par les Triumvirs pour s'être couronné de fleurs enlevées à la statue, Plin. XXI, 6, 1. 2) Sur le transfert de la Magna Mater à Rome, voir en dernier lieu E. Schmidt Kultübertragungen ch. 1. (1910) et mes observations, où j'ai essayé de mettre en relief l'importance du rôle joué dans ce transfert par le roi de Pergame, Revue de l'Hist. des Religions, 1913, II, 69. D'après Helbig, Untersuchungen, p. 155, le groupe de Marsyas avec le Scythe aurait été fait pour Pergame.

3) Les Romains ne donnèrent pas seulement à Ilion l'autonomie en 188, mais ajoutérent à son territoire Rhoiteion et Gergithion (Liv. XXXVIII, 39, 8). Sur ce don, voir A. Reinach, Revue Epigraphique, 1913, 171.

consul1) -on peut se demander s'ils n'ont pas eu quelque influence dans l'enlèvement du Marsyas d'Apamée.

Or, Apamée se trouve être précisément le théâtre de deux legendes qui peuvent contribuer à expliquer l'intérêt que les Romains devaient être amenés à témoigner à sa statue de Marsyas: une légende qui place dans le voisinage le tombeau d'Enée, une autre qui a dû être le prototype de celle par laquelle on expliquait ce Lacus Curtius auprès duquel on avait placé la statue de Marsyas 2).

Commençons par analyser cette dernière légende d'après la version conservée par Plutarque et par Stobée3). Elle est empruntée aux Métamorphoses d'un certain Kallisthénès de Sybaris, auteur de Galatika dont un fragment, relatif à la bataille livrée à Booscéphales entre Attalos II et Prusias II, fixe l'époque aux entours de 175 et porte à croire qu'il a travaillé à Pergame. Originaire de Grande-Grèce, vivant à la cour des Attalides, n'est-il pas le type même de ces écrivains qui ont dû rechercher et remanier les légendes grecques qui pouvaient constituer aux nouveaux maîtres du monde un passé légendaire digne de leur puissance présente?

Donc, d'après Kallisthénès, Midas régnait à Kélainai quand Zeus Idaios y ouvrit un abîme plein d'eau bouillonnante où s'engouffrèrent la plupart des maisons avec leurs habitants. Un oracle révéla au roi que l'abîme se comblerait s'il y précipitait ce qu'il y avait de plus précieux pour l'homme. On eut beau y jeter de l'or, de l'argent et des bijoux,

1) Liv. XXXVIII, 45. Klausen (Aeneas und die Penaten p. 278) a très bien montré que cet oracle était un souvenir de l'époque où le Taurus et l'Halys étaient la frontière du royaume lydo-phrygien. Quant à la raison d'ordre politique qui a dû amener le roi de Pergame à faire valoir cet oracle auprès du consul, elle se conçoit sans peine: il avait tout intérêt à ce qu'il restât en Asie à lui soumettre les Pisidiens, Isauriens et Galates au lieu d'achever en Syrie la ruine d'Antiochos III. Dans I Macch. VIII, 2, on croit retrouver l'écho de la terreur causée en Syrie par la compagne du Romains en 188. Les Livres Sibyllins avaient déjà été consultés avant l'expédition contre Antiochos.

2) Il faut remarquer que Denys AR XIV, 20, 21 et Dion (exc. Maï, p. 531 et Suidas, Aißegros) attribuent à la Sibylle l'oracle ordonnant aux Romains de jeter dans le gouffre ce qu'ils ont de plus précieux. Le rite, qui rappelle à la fois celui des Argées et celui du Forum Boarium, est certainement très ancien; mais la légende explicative peut avoir été forgée au début du IIe s. av., à l'instar de celle d'Apamée. Quant au nom du héros, il a été choisi parce que, depuis que le consul C. Curtius avait, en 445, entouré d'un parapet ce reste de la lagune primitive, le nom de sa famille y restait attaché.

3) Plut. Parall. Min. V, p. 377 Didot; Stob. Floril. VII, 69; Callisthène, fr. 45 des Scriptores Alexandri Magni de Didot. J'ai donné un commentaire plus détaillé de cette légende dans mon mémoire sur Noé Sangariou. (Extrait de la Revue des études juives, 1913). Le rapprochement entre les deux légendes a déjà été fait par Niebuhr, Schwegler et Klausen.

l'abîme restait béant. C'est alors qu'Anchouros 1), fils de Midas, résolut de s'y précipiter, ayant compris l'oracle: nul bien plus précieux pour l'homme que la vie. Aussi, après avoir embrassé son père et sa femme Timothéa, il se jeta à cheval, d'un bond, dans l'abîme. Midas fit dresser au-dessus un autel à Zeus, autel qu'en le touchant de la main, il transforma en or.

Toute mutilée que la tradition nous soit parvenue dans ce récit, on peut y reconnaître plusieurs éléments. Deux éléments légendaires:

1o La légende du déluge sous le type approprié aux pays volcaniques: la faille qui s'ouvre et d'où les eaux destructrices sortent pour y rentrer quand la divinité a été propitiée;

2o Une autre légende, probablement en partie iconologique: le héros cavalier, fils de dieu, se sacrifiant pour sauver les siens. On sait que le héros cavalier est souvent appelé Théos Sozôn, Dieu Sauveur", en Phrygie, et on pense d'une part au sacrifice de Curtius, d'autre part à l'engloutissement d'Amphiaraos. On pourrait voir un indice du culte du Héros cavalier à Kélainai dans les nombreuses monnaies de la ville qu'ornent des pilei surmontés de l'étoile des Dioscures et dans les monnaies plus rares qui montrent Mên cavalier.

Deux éléments cultuels:

3o Un rite consistant à jeter des objets précieux et même des victimes humaines dans un gouffre pour apaiser la divinité des eaux qui y bouillonnent.

4o Un autel de pierre dressé au bord du gouffre ou au-dessus quand celui-ci est censé refermé -, comme on le voit aux deux Hiérapolis de Phrygie et de Syrie. Qu'il se transforme en or, c'est que telle est la propriété caractéristique de Midas; c'est précisément à Kélainai que, pour sauver son armée de la soif, il aurait fait sourdre cette fontaine d'or que Dionysos, invoqué par lui, changea en cette eau impétueuse qui fut depuis le Marsyas.

Quoi qu'il en soit des éléments de notre légende, toujours est-il qu'elle n'a pu manquer d'être rapprochée par les anciens de celle de

1) Je rappelle que ce nom, 'Ayzovoos, dut être rapproché d'Anchise, 'Ayzione, et qu'une forme intermédiaire est fournie par ce roi Philistin de Gath que la Bible appelle 'Αγχους οι Αχις (cf. aussi 'Αγχάσιος, père du dieu préhellénique Trophonios, Paus. IX, 11, et 'Ayzaghvos, nom de personne à Ikonion, Rev. de Phil., 1912, p. 55). Si les Philistins sont probablement apparentés aux Phrygiens et aux Teukriens, il en est de même des Etrusques. On doit donc se demander si Anxur, éponyme de la ville étrusque de ce nom, figuré comme un jeune dieu imberbe, n'est pas une forme du même nom (cf. Ancharia, nom d'une soeur d'Auguste qui a du sang étrusque). On contestait dans l'antiquité que la tombe d'Anchise fût dans l'Ida (Paus. VIII, 12, 5; Eust. Il. XII p. 894); peut-être une tradition la placait elle près d'Apamée comme celle de son fils Énée.

« ก่อนหน้าดำเนินการต่อ
 »