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OEUVRES CHOISIES

DE

MALEBRANCHE.

SUR

LA MÉTAPHYSIQUE.

PREMIER ENTRETIEN.

De l'âme, et qu'elle est distinguée du corps. De la nature des idées. Que le monde où nos corps habitent et que nous regardons est bien différent de celui que nous voyons.

THÉODORE.

Bien donc, mon cher Ariste, puisque vous le voulez, il faut que je vous entretienne de mes visions métaphysiques. Mais pour cela il est nécessaire que je quitte ces lieux enchantés qui charment nos sens, et qui, par leur variété, partagent trop un esprit tel que le mien. Comme j'appréhende extrêmement de prendre pour les réponses immédiates de la vérité intérieure quelques-uns de mes préjugés, ou de ces principes confus qui doivent leur naissance aux lois de l'union de l'âme et du corps, et que dans ces lieux je ne puis pas, comme vous le pouvez peut-être, faire taire un certain bruit confus qui jette la confusion et le trouble dans toutes mes idées, sortons d'ici, je vous prie. Allons nous renfermer dans votre cabinet, afin de rentrer plus facilement en nous-mêmes. Tâchons que rien ne nous empêche de consulter l'un et l'autre notre maître commun, la raison universelle; car c'est la vérité intérieure qui doit présider à nos entretiens. C'est elle qui doit me dicter ce que je dois vous dire, et ce que vous voulez apprendre par mon entremise. En un mot, c'est à elle qu'il appartient uniquement de juger et de prononcer sur nos différends. Car nous ne pensons aujourd'hui qu'à philosopher; et quoique vous soyez parfaitement soumis à l'autorité de l'Église, vous voulez que je vous parle d'abord comme si vous refusiez de recevoir les vérités de la foi pour principes de nos connaissances. En effet, la foi doit régler les démarches de notre esprit, mais il n'y a que la souveraine raison qui le remplisse d'intelligence.

ARISTE. - Allons, Théodore, partout où vous voudrez. Je suis dégoûté de tout ce que je vois dans ce monde matériel et sensible,

depuis que je vous entends parler d'un autre monde tout rempli de beautés intelligibles. Enlevez-moi dans cette région heureuse et enchantée. Faites-m'en contempler toutes ces merveilles dont vous me parliez l'autre jour d'une manière si magnifique et d'un air si content. Allons, je suis prêt à vous suivre dans ce pays, que vous croyez inaccessible à ceux qui n'écoutent que leurs sens.

THÉODORE. - Vous vous réjouissez, Ariste, et je n'en suis pas fàché. Vous me raillez d'une manière si délicate et si honnête, que je sens bien que vous voulez vous divertir, mais que vous ne voulez pas m'offenser. Je vous le pardonne. Vous suivez les inspirations secrètes de votre imagination toujours enjouée. Mais, souffrez que je vous le dise, vous parlez de ce que vous n'entendez pas. Non, je ne vous conduirai point dans une terre étrangère; mais je vous apprendrai peut-être que vous êtes étranger vous-même dans votre propre pays. Je vous apprendrai que ce monde que vous habitez n'est point tel que vous le croyez, parce qu'effectivement il n'est point tel que vous le voyez ou que vous le sentez. Vous jugez sur le rapport de vos sens de tous les objets qui vous environnent, et vos sens vous séduisent infiniment plus que vous ne pouvez vous l'imaginer. Ce ne sont de fidèles témoins que pour ce qui regarde le bien du corps et la conservation de la vie. A l'égard de tout le reste, il n'y a nulle exactitude, nulle vérité dans leur déposition. Vous le verrez, Ariste, sans sortir de vous-même, sans que je vous enlève dans cette région enchantée que votre imagination vous représente. L'imagination est une folle qui se plaît à faire la folle. Ses saillies, ses mouvements imprévus vous divertissent, et moi aussi. Mais il faut, s'il vous plaît, que dans nos entretiens la raison soit toujours la supérieure. Il faut qu'elle décide et qu'elle prononce. Or, elle se tait et nous échappe toujours lorsque l'imagination vient à la traverse, et qu'au lieu de lui imposer silence, nous écoutons ses plaisanteries et que nous nous arrêtons aux divers fantômes qu'elle nous présente. Tenez-la donc dans le respect en présence de la raison; faites-la taire, si vous voulez entendre clairement et distinctement les réponses de la vérité intérieure.

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ARISTE. Vous prenez, Théodore, bien sérieusement ce que je vous ai dit sans beaucoup de réflexion. Je vous demande pardon de ma petite liberté. Je vous promets que.....

THÉODORE. - Vous ne m'avez point fâché, Ariste, vous m'avez réjoui; car, encore un coup, vous avez l'imagination si vive et si agréable, et je suis si assuré de votre cœur, que vous ne me fâcherez jamais, et que vous me réjouirez toujours, du moins quand vous ne me raillerez que tète à tête; et ce que je viens de vous

dire n'est que pour vous faire entendre que vous avez une terrible opposition à la vérité. Cette qualité, qui vous rend tout éclatant aux yeux des hommes, qui vous gagne les cœurs, qui vous attire l'estime, qui fait que tous ceux qui vous connaissent veulent vous posséder, est l'ennemie la plus irréconciliable de la raison. Je vous avance un paradoxe dont je ne puis vous démontrer présentement la vérité 1. Mais vous le reconnaîtrez bientôt par votre propre expérience, et vous en verrez peut-être les raisons dans la suite de nos entretiens. Il y a encore pour cela bien du chemin à faire. Mais croyez-moi, le stupide et le bel esprit sont également fermés à la vérité. Il y a seulement cette différence, qu'ordinairement le stupide la respecte, et que le bel esprit la méprise. Néanmoins, si vous êtes bien résolu de gourmander votre imagination, vous entrerez sans aucun obstacle dans le lieu où la raison rend ses réponses; et quand vous l'aurez entendue quelque temps, vous n'aurez que du mépris pour tout ce qui vous a charmé jusqu'ici; et si Dieu vous touche le cœur, vous n'en aurez que du dégoût.

ARISTE. Allons donc promptement, Théodore. Vos promesses me donnent une ardeur que je ne puis vous exprimer. Assurément, je vais faire tout ce que vous m'ordonnerez. Doublons le pas..... Grâce à Dieu, nous voici enfin arrivés au lieu destiné à nos entretiens. Entrons... Asseyez-vous... Qu'y a-t-il ici qui puisse nous empêcher de rentrer en nous-mêmes pour consulter la raison? Voulez-vous que je ferme tous les passages de la lumière, afin que les ténèbres fassent éclipser tout ce qu'il y a de visible dans cette chambre et qui peut frapper nos sens?

THÉODORE.Non, mon cher. Les ténèbres frappent nos sens aussi bien que la lumière. Elles effacent l'éclat des couleurs. Mais à l'heure qu'il est, elles pourraient jeter quelque trouble ou quelque petite frayeur dans notre imagination. Tirez seulement les rideaux. Ce grand jour nous incommoderait un peu, et donnerait peut-être trop d'éclat à certains objets..... Cela est fort bien : asseyez-vous.

Rejetez, Ariste, tout ce qui vous est entré dans l'esprit par les sens. Faites taire votre imagination. Que tout soit chez vous dans un parfait silence. Oubliez mème, si vous le pouvez, que vous avez un corps, et ne pensez qu'à ce que je vais vous dire. En un mot, soyez attentif, et ne chicanez point sur mon préambule. L'attention est la seule chose que je vous demande. Sans ce travail, ou ce combat de l'esprit contre les impressions du corps, on ne fait point de conquêtes dans le pays de la vérité.

1. Traité de morale, ch. 12.

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