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sont point des beautés matérielles, mais des beautés intelligibles, rendues sensibles en conséquence des lois de l'union de l'âme et du corps, puisque l'anéantissement supposé de la matière n'emporte point avec lui l'anéantissement de ces beautés que nous voyons en les regardant.

ARISTE. Je crains, Théodore, que vous ne supposiez une fausseté. Car si Dieu avait détruit cette chambre, certainement elle ne serait plus visible, car le néant n'a point de propriétés.

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VI. THEODORE. Vous ne me suivez pas, Ariste. Votre chambre est par elle-même absolument invisible. Si Dieu l'avait détruite, dites-vous, elle ne serait plus visible, puisque le néant n'a point de propriétés. Cela serait vrai, si la visibilité de votre chambre était une propriété qui lui appartînt. Si elle était détruite, elle ne serait plus visible. Je le veux, car cela est vrai en un sens. Mais ce que je vois en regardant votre chambre, je veux dire en tournant mes yeux de tous côtés pour la considérer, sera toujours visible, quand même votre chambre serait détruite; que dis-je ? quand même elle n'aurait jamais été bâtie. Je vous soutiens qu'un Chinois qui n'est jamais entré ici peut voir en son pays tout ce que je vois lorsque je regarde votre chambre; supposé, ce qui n'est nullement impossible, qu'il ait le cerveau ébranlé de la même manière que je l'ai maintenant que je la considère. Ceux qui ont la fièvre chaude, ceux qui dorment, ne voient-ils pas des chimères de toutes façons qui ne furent jamais? Ce qu'ils voient est du moins dans le temps qu'ils le voient. Mais ce qu'ils croient voir n'est pas ce à quoi ils rapportent ce qu'ils voient n'est rien de réel.

Je vous le répète, Ariste, à parler exactement, votre chambre n'est point visible. Ce n'est point proprement votre chambre que je vois lorsque je la regarde, puisque je pourrais bien voir tout ce que je vois maintenant, quand même Dieu l'aurait détruite. Les dimensions que je vois sont immuables, éternelles, nécessaires. Ces dimensions intelligibles qui me représentent tous ces espaces n'occupent aucun lieu. Les dimensions de votre chambre sont au contraire changeantes et corruptibles; elles remplissent un certain espace. Mais en vous disant trop de vérités, je crains maintenant de multiplier vos difficultés; car vous me paraissez assez embarrassé à distinguer les idées, qui seules sont visibles par elles-mêmes, des objets qu'elles représentent, qui sont invisibles à l'esprit, parce qu'ils ne peuvent agir sur lui, ni se représenter à lui.

ARISTE. - Il est vrai que je suis un peu interdit. C'est que j'ai de la peine à vous suivre dans ce pays des idées, auxquelles vous attribuez une réalité véritable. Je ne trouve point de prise dans tout

ce qui n'a point de corps. Et cette réalité de vos idées que je ne puis m'empêcher de croire véritables, par les raisons que vous venez de me dire, me paraît n'avoir guère de solidité; car, je vous prie, que deviennent nos idées dès que nous n'y pensons plus ? Pour moi, il me semble qu'elles rentrent dans le néant. Et si cela est, voilà votre monde intelligible détruit. Si, en fermant les yeux, j'anéantis la chambre intelligible que je vois maintenant, certes la réalité de cette chambre est bien mince, c'est bien peu de chose. S'il suffit que j'ouvre les yeux pour créer un monde intelligible, assurément ce monde-là ne vaut pas celui dans lequel nos corps habitent.

VII. THÉODORE. - Cela est vrai, Ariste. Si vous donnez l'ètre à vos idées, s'il ne dépend que d'un clin d'œil pour les anéantir, c'est bien peu de chose; mais si elles sont éternelles, immuables, nécessaires, divines en un mot, j'entends la réalité intelligible dont elles sont formées, assurément elles seront plus considérables que cette matière inefficace et par elle-même absolument invisible. Quoi, Ariste! pourriez-vous croire qu'en voulant penser à un cercle, par exemple, vous donniez l'être à la substance, pour ainsi dire, dont votre idée est formée, et que dès que vous cessez de vouloir y penser vous l'anéantissez? Prenez garde. Si c'est vous qui donnez l'ètre à vos idées, c'est en voulant y penser. Or, je vous prie, comment pouvez-vous vouloir penser à un cercle, si vous n'en avez déjà quelque idée, et de quoi la former et l'achever? Peut-on rien vouloir sans le connaître ? Pouvez-vous faire quelque chose de rien? Certainement vous ne pouvez pas vouloir penser à un cercle, si vous n'en avez déjà l'idée, ou du moins l'idée de l'étendue, dont vous puissiez considérer certaines parties sans penser aux autres. Vous ne pouvez vouloir le voir de près, le voir distinctement, si vous ne le voyez déjà confusément et comme de loin. Votre attention vous en approche, elle vous le rend présent, elle le forme même; je le veux. Mais il est clair qu'elle ne le produit pas de rien. Votre distraction vous en éloigne, mais elle ne l'anéantit pas tout à fait. Car si elle l'anéantissait, comment pourriez-vous former le désir de le produire, et sur quel modèle le feriez-vous tout de nouveau si semblable à lui-même ? N'est-il pas clair que cela serait impossible?

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ARISTE. Pas trop clair encore pour moi, Théodore. Vous me convainquez, mais vous ne me persuadez pas. Cette terre est réelle. Je le sens bien. Quand je frappe du pied, elle me résiste. Voilà qui est solide, cela. Mais que mes idées aient quelque réalité indépendamment de ma pensée, qu'elles soient dans le temps même que je n'y pense point, c'est ce que je ne puis me persuader.

VIII. THÉODORE.

C'est que vous ne sauriez rentrer en vousmême pour interroger la raison, et que, fatigué du travail de l'attention, vous écoutez votre imagination et vos sens, qui vous parlent sans que vous ayez la peine de les consulter. Vous n'avez pas fait assez de réflexions sur les preuves que je vous ai données que leur témoignage est trompeur. Il n'y a pas long-temps qu'il y avait un homme, fort sage d'ailleurs, qui croyait toujours avoir de l'eau jusqu'au milieu du corps, et qui appréhendait sans cesse qu'elle ne s'augmentât et ne le noyât. Il la sentait, comme vous votre terre. Il la trouvait froide, et il se promenait toujours fort lentement, parce que l'eau, disait-il, l'empêchait d'aller plus vite. Quand on lui parlait néanmoins, et qu'il écoutait, on le détrompait. Mais il retombait aussitôt dans son erreur. Quand un homme se croit transformé en coq, en lièvre, en loup ou en bœuf, comme Nabuchodonosor, il sent en lui, au lieu de ses jambes, les pieds d'un coq; au lieu de ses bras, les jarrets d'un bœuf, et au lieu de ses cheveux, une crête ou des cornes. Comment ne voyez-vous pas que la résistance que vous sentez en pressant du pied votre plancher, n'est qu'un sentiment qui frappe l'àme, et qu'absolument parlant nous pouvons avoir tous nos sentiments indépendamment des objets? Est-ce qu'en dormant vous n'avez jamais senti sur la poitrine un corps fort pesant qui vous empêchait de respirer, ou que vous n'avez jamais cru être frappé et même blessé, ou frapper vousmême les autres, vous promener, danser, sauter sur une terre solide?

Vous croyez que ce plancher existe, parce que vous sentez qu'il vous résiste. Quoi donc! est-ce que l'air n'a pas autant de réalité que votre plancher, à cause qu'il a moins de solidité? Est-ce que la glace a plus de réalité que l'eau, à cause qu'elle a plus de dureté? Mais, de plus, vous vous trompez; nul ne peut résister à un esprit. Ce plancher résiste à votre pied je le veux. Mais c'est tout autre chose que votre plancher ou que votre corps qui résiste à votre esprit, ou qui lui donne le sentiment que vous avez de résistance ou de solidité.

Néanmoins je vous accorde encore que votre plancher vous résiste. Mais pensez-vous que vos idées ne vous résistent point? Trouvez-moi donc dans un cercle deux diamètres inégaux, ou dans une ellipse trois égaux. Trouvez-moi la racine carrée de 8, et la cubique de 9. Faites qu'il soit juste de faire à autrui ce qu'on ne veut pas qu'on nous fasse à nous-mêmes; ou, pour prendre un exemple qui revienne au vôtre, faites que deux pieds d'étendue intelligible n'en fassent plus qu'un. Certainement la nature de cette

étendue ne peut le souffrir. Elle résiste à votre esprit. Ne doutez donc point de sa réalité. Votre plancher est impénétrable à votre pied: c'est ce que vous apprennent vos sens d'une manière confuse et trompeuse. L'étendue intelligible est aussi impénétrable à sa façon c'est ce qu'elle vous fait voir clairement par son évidence et par sa propre lumière.

Écoutez-moi, Ariste. Vous avez l'idée de l'espace ou de l'étendue, d'un espace, dis-je, qui n'a point de bornes. Cette idée est nécessaire, éternelle, immuable, commune à tous les esprits, aux hommes, aux anges, à Dieu même. Cette idée, prenez-y garde, est ineffaçable de votre esprit, comme celle de l'ètre ou de l'infini, de l'être indéterminé. Elle lui est toujours présente. Vous ne pouvez vous en séparer, ou la perdre entièrement de vue. Or, c'est de cette vaste idée que se forme en nous non-seulement l'idée du cercle, et de toutes les figures purement intelligibles, mais aussi celle de toutes les figures sensibles que nous voyons en regardant le monde créé tout cela selon les diverses applications des parties intelligibles de cette étendue idéale, immatérielle, intelligible à notre esprit; tantôt en conséquence de notre attention, et alors nous connaissons ces figures; et tantôt en conséquence des traces et des ébranlements de notre cerveau, et alors nous les imaginons ou nous les sentons. Je ne dois pas maintenant vous expliquer tout ceci plus exactement. Considérez seulement qu'il faut bien que cette idée d'une étendue infinie ait beaucoup de réalité, puisque vous ne pouvez la comprendre, et que quelque mouvement que vous donniez à votre esprit, vous ne pouvez la parcourir. Considérez qu'il n'est pas possible qu'elle n'en soit qu'une modification, puisque l'infini ne peut être actuellement la modification de quelque chose de fini. Dites-vous à vous-même: Mon esprit ne peut comprendre cette vaste idée. Il ne peut la mesurer. C'est donc qu'elle le passe infiniment. Et si elle le passe, il est clair qu'elle n'en est point la modification; car les modifications des êtres ne peuvent pas s'étendre au delà de ces mêmes êtres, puisque les modifications des êtres ne sont que ces mêmes êtres de telle et telle façon. Mon esprit ne peut mesurer cette idée : c'est donc qu'il est fini, et qu'elle est infinie. Car le fini, quelque grand qu'il soit, appliqué ou répété tant qu'on voudra, ne peut jamais égaler l'infini.

ARISTE. Que vous êtes subtil et prompt! Doucement, s'il vous plaît. Je vous nie que l'esprit aperçoive l'infini. L'esprit, je le veux, aperçoit de l'étendue dont il ne voit pas le bout; mais il ne voit pas une étendue infinie; un esprit fini ne peut rien voir d'infini.

IX. THÉODORE.

Non, Ariste, l'esprit ne voit pas une étendue infinie, en ce sens que sa pensée ou sa perfection égale une étendue infinie. Si cela était, il la comprendrait, et il serait infini luimême; car il faut une pensée infinie pour mesurer une idée infinie, pour se joindre actuellement à tout ce que comprend l'infini. Mais l'esprit voit actuellement que son objet immédiat est infini il voit actuellement que l'étendue intelligible est infinie. Et ce n'est pas, comme vous le pensez, parce qu'il n'en voit pas le bout; car si cela était, il pourrait espérer de le trouver, ou du moins il pourrait douter si elle en a, ou si elle n'en a point; mais c'est parce qu'il voit clairement qu'elle n'en a point.

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Supposons qu'un homme tombé des nues marche sur la terre toujours en droite ligne, je veux dire sur un des grands cercles dont les géographes la divisent, et que rien ne l'empêche de voyager: pourrait-il décider, après quelques journées de chemin, que la terre serait infinie, à cause qu'il n'en trouverait point le bout? S'il était sage et retenu dans ses jugements, il la croirait fort grande, mais il ne la jugerait pas infinie. Et à force de marcher, se retrouvant au mème lieu dont il serait parti, il reconnaîtrait qu'effectivement il en aurait fait le tour. Mais lorsque l'esprit pense à l'étendue intelligible, lorsqu'il veut mesurer l'idée de l'espace, il voit clairement qu'elle est infinie. Il ne peut douter que cette idée ne soit inépuisable. Qu'il en prenne de quoi se représenter le lieu de cent mille mondes, et à chaque instant encore cent mille fois davantage, jamais cette idée ne cessera de lui fournir tout ce qu'il faudra. L'esprit le voit, et n'en peut douter. Mais ce n'est point par là qu'il découvre qu'elle est infinie. C'est au contraire parce qu'il la voit actuellement infinie, qu'il sait bien qu'il ne l'épuisera jamais.

Les géomètres sont les plus exacts de ceux qui se mêlent de raisonner. Or, tous conviennent qu'il n'y a point de fraction qui, multipliée par elle-même, donne huit pour produit, quoiqu'en augmentant les termes de la fraction on puisse approcher à l'infini de ce nombre. Tous conviennent que l'hyperbole et ses asymptotes, et plusieurs autres semblables lignes continuées à l'infini, s'approcheront toujours sans jamais se joindre. Pensez-vous qu'ils découvrent ces vérités en tâtonnant, et qu'ils jugent de ce qu'ils ne voient point par quelque peu de chose qu'ils auraient découvert? Non, Ariste. C'est ainsi que jugent l'imagination et les sens, ou ceux qui suivent leur témoignage. Mais les vrais philosophes ne jugent précisément que de ce qu'ils voient. Et cependant ils ne craignent point d'assurer, sans jamais l'avoir éprouvé, que nulle partie de la diagonale d'un carré, fùt-elle un million de fois plus petite que le

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