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vivement, ne peut faire qu'il ne s'égare dans les ténèbres de ses propres modifications. Car enfin, comprenez bien cette importante vérité. L'homme n'est point à lui-même sa propre lumière. Sa substance, bien loin de l'éclairer, lui est inintelligible elle-même. Il ne connait rien que par la lumière de la raison. J'entends toujours de cette raison universelle qui éclaire tous les esprits par les idées intelligibles qu'elle leur découvre dans sa substance toute lumineuse.

IV. La raison créée, notre âme, l'esprit humain, les intelligences les plus pures et les plus sublimes peuvent bien voir la lumière; mais ils ne peuvent la produire, ou la tirer de leur propre fonds; ils ne peuvent l'engendrer de leur substance. Ils peuvent découvrir les vérités éternelles, immuables, nécessaire dans le Verbe divin, dans la sagesse éternelle, immuable, nécessaire; mais ils ne peuvent trouver que des sentiments souvent fort vifs, mais toujours obscurs et confus, que des modalités pleines de ténèbres. En un mot, ils ne peuvent en se contemplant découvrir la vérité. Ils ne peuvent se nourrir de leur propre substance. Ils ne peuvent trouver la vie des intelligences que dans la raison universelle qui anime tous les esprits.

ARISTE. Je suis bien persuadé, Théodore, par les réflexions que j'ai faites sur ce que vous m'avez dit ces jours-ci, que c'est uniquement le Verbe divin qui nous éclaire par les idées intelligibles qu'il renferme; car il n'y a point deux ou plusieurs sagesses, deux ou plusieurs raisons universelles. La vérité est immuable, nécessaire, éternelle, la même dans le temps et dans l'éternité, la même parmi nous et les étrangers, la mème dans le ciel et dans les enfers. Le Verbe éternel parle à toutes les nations le même langage, aux Chinois et aux Tartares comme aux Français et aux Espagnols; et s'ils ne sont pas également éclairés, c'est qu'ils sont inégalement attentifs; c'est qu'ils mêlent, les uns plus, les autres moins, les inspirations particulières de leur amour-propre avec les réponses générales de la vérité intérieure. Deux fois deux font quatre chez tous les peuples. Tous entendent la voix de la vérité, qui nous ordonne de ne point faire aux autres ce que nous ne voulons pas qu'on nous fasse. Et ceux qui n'obéissent point à cette voix sentent des reproches intérieurs qui les menacent et qui les punissent de leur désobéissance, pourvu qu'ils rentrent en euxmêmes et qu'ils entendent raison. Je suis maintenant bien convaincu de ces principes; mais je ne comprends pas encore trop bien cette différence entre connaître et sentir, que vous jugez si nécessaire pour éviter l'erreur. Je vous prie de me la faire remarquer.

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V. THÉODORE. Si vous aviez bien médité sur les principes dont vous dites que vous êtes convaincu, vous verriez clairement ce que vous me demandez. Mais sans vous engager dans un chemin trop pénible, répondez-moi. Pensez-vous que Dieu sente la douleur que nous souffrons?

ARISTE. malheureux. THÉODORE. - Fort bien. Mais croyez-vous qu'il la connaisse? ARISTE. Oui, je le crois; car il connaît tout ce qui arrive à ses créatures. La connaissance de Dieu n'a point de bornes, et connaître ma douleur ne le rend ni malheureux ni imparfait. Au contraire.....

Non, sans doute; car le sentiment de la douleur rend

THÉODORE. Oh oh, Ariste! Dieu connaît la douleur, le plaisir, la chaleur et le reste, et il ne sent point ces choses! ll connaît la douleur, puisqu'il sait quelle est cette modification de l'âme en quoi la douleur consiste. Il la connaît, puisque c'est lui seul qui la cause en nous, ainsi que je vous prouverai dans la suite, et qu'il sait bien ce qu'il fait. En un mot, il la connaît, puisque sa connaissance n'a point de bornes. Mais il ne la sent pas, car il serait malheureux. Connaître la douleur, ce n'est donc pas la sentir.

ARISTE. Il est vrai. Mais sentir la douleur n'est-ce pas la connaître ?

VI. THÉODORE. Non, sans doute, puisque Dieu ne la sent nullement, et qu'il la connaît parfaitement. Mais pour ne point nous arrêter à l'équivoque des termes, si vous voulez que sentir la douleur ce soit la connaître, du moins demeurez d'accord que ce n'est point la connaître clairement, que ce n'est point la connaître par la lumière et par évidence, en un mot, que ce n'est point en connaître la nature, et qu'ainsi, à parler exactement, ce n'est point la connaître. Sentir la douleur, par exemple, c'est se sentir malheureux, sans savoir bien ni ce qu'on est, ni quelle est cette modalité de notre être qui nous rend malheureux. Mais connaître, c'est avoir une idée claire de la nature de son objet, et en découvrir tels et tels rapports par lumière et par évidence.

Je connais clairement les parties de l'étendue, parce que j'en puis voir évidemment les rapports. Je vois clairement que les triangles semblables ont leurs côtés proportionnels, qu'il n'y a point de triangle plan dont les trois angles ne soient égaux à deux droits. Je vois clairement ces vérités ou ces rapports dans l'idée ou l'archétype de l'étendue; car cette idée est si lumineuse, que c'est en la contemplant que les géometres et les bons physiciens se forment;

et elle est si féconde en vérités, que tous les esprits ensemble ne l'épuiseront jamais.

mon

VII. Il n'en est pas de même de mon être. Je n'en ai point d'idée: je n'en vois point l'archetype. Je ne puis découvrir les rapports des modifications qui affectent mon esprit. Je ne puis en me tournant vers moi-même reconnaître aucune de mes facultés ou de mes capacités. Le sentiment intérieur que j'ai de moi-même m'apprend que je suis, que je pense, que je veux, que je sens, que je souffre, etc.; mais il ne me fait point connaître ce que je suis, la nature de ma pensée, de ma volonté, de mes sentiments, de mes passions, de ma douleur, ni les rapports que toutes ces choses ont entre elles, parce qu'encore un coup n'ayant point d'idée de mon âme, n'en voyant point l'archétype dans le Verbe divin, je ne puis découvrir en la contemplant ni ce qu'elle est, ni les modalités dont elle est capable, ni enfin les rapports qui sont entre ses modalités; rapports que je sens vivement sans les connaître. Tout cela, cher Ariste, parce que, comme je vous ai déjà dit, je ne suis point ma lumière à moi-même, que ma substance et mes modalités ne sont que ténèbres, et que Dieu n'a pas trouvé à propos, pour bien des raisons, de me découvrir l'idée ou l'archétype qui représente la nature des êtres spirituels; car, si ma substance était intelligible par elle-même ou en elle-même, si elle était lumineuse, si elle pouvait m'éclairer, comme je ne suis pas séparé de moi-même, certainement je pourrais voir en me contemplant que je suis capable d'être touché de tels et tels sentiments que je n'ai jamais éprouvés, et dont je n'aurai peut-être jamais aucune connaissance. Je n'aurais pas eu besoin d'un concert pour savoir quelle est la douceur de l'harmonie; et quoique je n'eusse jamais goûté d'un tel fruit, j'aurais pu, je ne dis pas sentir, mais connaître avec évidence la nature du sentiment qu'il excite en moi. Mais, comme on ne peut connaître la nature des êtres que dans la raison qui les renferme d'une manière intelligible, quoique je ne me puisse sentir qu'en moi-même, ce n'est qu'en elle que je puis découvrir ce que je suis et les modalités dont ma nature est susceptible, et à plus forte raison ce n'est qu'en elle que je puis découvrir les principes des sciences et toutes les vérités capables d'éclairer l'esprit.

ARISTE. Avançons un peu, Théodore. Je crois qu'il y a des différences essentielles entre connaître et sentir, entre les idées qui éclairent l'esprit et les sentiments qui le touchent; et je demeure d'accord que bien que je ne me sente qu'en moi-même, je ne puis connaître ce que je suis que dans la raison, qui renferme l'archétype de mon être et les idées intelligibles de toutes choses.

VIII. TAEODore. Bien donc, Ariste. Vous voilà prêt à faire mille et mille découvertes dans le pays de la vérité. Distinguez nos idées de vos sentiments, mais distinguez-les bien. Encore un coup, distinguez-les bien, et tous ces fantômes caressants dont je vous ai parlé ne vous engageront point dans l'erreur. Élevez-vous toujours au-dessus de vous-même. Vos modalités ne sont que ténèbres souvenez-vous-en. Montez plus haut jusqu'à la raison, et vous verrez la lumière. Faites taire vos sens, votre imagination et vos passions, et vous entendrez la voix pure de la vérité inté– rieure, les réponses claires et évidentes de notre maître commun. Ne confondez jamais l'évidence qui résulte de la comparaison des idées avec la vivacité des sentiments qui vous touchent et qui vous ébranlent. Plus nos sentiments sont vifs, plus ils répandent de ténebres. Plus nos fantômes sont terribles ou agréables, plus ils paraissent avoir de corps et de réalité, plus ils sont dangereux et propres à nous séduire. Dissipez-les, ou entrez en défiance. Fuyez, en un mot, tout ce qui vous touche, et courez et attachez-vous à tout ce qui vous éclaire. Il faut suivre la raison malgré les caresses, les menaces, les insultes du corps auquel nous sommes unis, malgré l'action des objets qui nous environnent. Concevezvous bien distinctement tout ceci? en êtes-vous bien convaincu par les raisons que je vous ai données, et par vos propres réflexions ?

ARISTE. — Votre exhortation, Théodore, me paraît bien vive pour un entretien de métaphysique. Il me semble que vous excitez en moi des sentiments au lieu d'y faire naître des idées claires. Je me sers de votre langage. De bonne foi, je ne comprends pas trop ce que vous me dites. Je le vois, et un moment après je ne le vois plus. C'est que je ne sais encore que l'entrevoir. Il me semble que vous avez raison, mais je ne vous entends pas trop bien.

IX. THÉODORE. Ah! mon cher Ariste, votre réponse est encore une preuve de ce que nous venons de dire. Il n'y a point de mal que vous y fassiez réflexion. Je vous dis ce que je vois, et vous ne le voyez pas. C'est une preuve que l'homme n'instruit pas l'homme. C'est que je ne suis point votre maître ou votre docteur. C'est que je ne suis qu'un moniteur, véhément peut-être, mais peu exact et peu entendu. Je parle à vos oreilles. Apparemment je n'y fais que trop de bruit. Mais notre unique maître ne parle point encore assez clairement à votre esprit, ou plutôt la raison lui parle sans cesse fort nettement; mais, faute d'attention, vous n'entendez point assez ce qu'elle nous répond. Je croyais pourtant, par les choses que vous venez de me dire, et par celles que je

vous avais dites moi-même, que vous compreniez suffisamment mon principe et les conséquences qu'il en faut tirer. Mais je vois bien qu'il ne suffit pas que je vous donne des avis généraux appuyés sur des idées abstraites et métaphysiques, il faut encore que je vous apporte quelques preuves particulières de la nécessité de

ces avis.

Je vous ai exhorté à vous accoutumer à reconnaître sans peine la différence qu'il y a entre connaître et sentir, entre nos idées claires et nos sentiments toujours obscurs et confus; et je vous soutiens que cela seul suffit pour découvrir une infinité de vérités. Je vous le soutiens, dis-je, sur ce fondement, qu'il n'y a que la raison qui nous éclaire, que nous ne sommes point notre lumière à nousmèmes, ni nulle intelligence à aucune autre. Vous verrez clairement si ce fondement est solide lorsque vous cesserez de m'entendre, moi, et que dans votre cabinet vous consulterez attentivement la vérité intérieure. Mais pour vous faciliter l'intelligence de mon principe, et vous en faire mieux connaître la nécessité et les conséquences, répondez-moi, je vous prie. Vous savez bien la musique, car je vous vois souvent toucher les instruments d'une manière fort savante et fort hardie.

J'en sais assez pour charmer mon chagrin et chasser

ARISTE. ma mélancolie.

X. THÉODORE. Bien donc. Expliquez-moi un peu la nature de ces divers sons que vous alliez d'une manière si juste et si agréable. Qu'est-ce qu'une octave, une quinte, une quarte? D'où vient que, deux cordes étant dans l'unisson, on ne peut en toucher l'une sans ébranler l'autre? Vous avez l'oreille très-finé et très-délicate: consultez-la, afin qu'elle vous réponde ce que je souhaite d'apprendre de vous.

ARISTE. Je pense que vous vous moquez de moi. C'est la raison, et non les sens, qu'il faut consulter.

THÉODORE. Cela est vrai. Il ne faut consulter les sens que sur des faits. Leur pouvoir est fort borné, mais la raison s'étend à tout consultez-la donc, et prenez garde de confondre ses réponses avec le témoignage de vos sens. Eh bien, que vous répond-elle ?

ARISTE.

Vous me pressez trop. Néanmoins il me semble que le son est une qualité répandue dans l'air, laquelle ne peut affecter que le sens de l'ouïe; car chaque sens a son objet propre.

THÉODORE.

ARISTE.

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Appelez-vous cela consulter la raison?

Que voulez-vous que je vous dise? Tenez, voici une octave, la-la; voici une quinte, ut-sol; voici une quarte, ut-fa.

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