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à régler notre amour que toute autre idée de Dieu que l'imagination pourrait corrompre et par là nous faire illusion; mais puisque l'ordre dont je parle n'est que le rapport qu'ont entre elles les perfections divines tant absolues que relatives, il est clair que l'amour de l'ordre n'est que l'amour de Dieu, et de toutes choses par rapport à Dieu. Car aimer l'ordre, c'est aimer les choses selon le rapport qu'elles ont aux perfections divines; et c'est aimer Dieu considéré en lui-même plus que toutes choses, puisqu'il renferme en lui-même, et d'une manière infiniment parfaite, les perfections de toutes choses.

Si pour être juste il faut toujours vouloir ce que Dieu veut, c'est uniquement et précisément parce que Dieu veut toujours selon l'ordre immuable de ses perfections, et qu'il ne peut jamais se démentir. C'est à quoi il faut bien prendre garde. Car lorsqu'on attribue à Dieu des volontés purement arbitraires ou indépendantes de cette loi, et qu'on s'imagine que c'est vertu que de s'y soumettre, on tombe dans l'erreur et dans le déréglement. On fait Dieu injuste, c'est là l'erreur; et le déréglement consiste dans la conformité de sa volonté avec celle d'un Dieu imaginaire. La loi éternelle n'est point arbitraire, c'est l'ordre immuable des perfections divines. Dieu, par exemple, peut ôter à ses créatures l'être qu'il leur a donné librement; mais le souverain domaine qu'il a sur elles ne lui donne pas droit de les traiter injustement. L'être est pure libéralité; mais le bien et le mal-être, le plaisir et la douleur, la récompense et la peine, doivent être réglés selon l'ordre immuable de la justice, que le juste juge aime invinciblement et par la nécessité de sa nature. Comme Dieu n'agit que pour lui, il n'a fait les intelligences capables de connaître et d'aimer que pour le connaître et pour l'aimer, que pour connaître la vérité et l'ordre, juger selon la vérité, aimer selon l'ordre; pour juger, en un mot, comme il juge, aimer comme il aime. La perfection de notre nature consiste donc à consulter la raison et à la suivre : j'entends cette souveraine raison qui éclaire tous les hommes, cette lumière intérieure qui nous fait distinguer le vrai du faux, le juste de l'injuste. Dieu veut certainement. cette perfection de notre être, il veut que nous la voulions. Il le veut, dis-je, non d'une volonté purement arbitraire, mais par l'amour invincible qu'il a pour l'ordre immuable. Cette inclination naturelle qui nous reste encore après le péché pour la vérité et pour la justice, en un mot, pour la raison, en est une bonne preuve. Elle se fait même encore sentir, cette inclination, malgré la corruption de la nature; et nous en suivons toujours les impressions lorsqu'elle n'est point combattue par l'inclination que nous avons pour les plaisirs déréglés. C'est par l'amour qu'ont pour la justice ceux-là mêmes

qui commettent des injustices, qu'ils aiment les justes, et qu'ils les préfèrent à ceux qui leur ressemblent. Tous les hommes ont donc quelque amour pour l'ordre immuable de la justice; mais ils ne sont pas justes, parce que cet amour n'est pas dominant, et qu'ils ne veulent pas lui sacrifier ce qui actuellement leur plaît davantage.

'Mais il faut bien remarquer qu'on ne peut aimer que ce qui plaît, ni haïr que ce qui déplaît. Si l'on aime l'ordre, c'est que la beauté de l'ordre plaît; si l'on aime les objets sensibles, c'est parce qu'ils plaisent. Il faut dire la mêmec hose de ce qu'on hait. C'est qu'il est absolument impossible de rien vouloir, si rien ne nous touche; il est impossible que l'àme soit ébranlée, qu'elle reçoive quelque impression, quelque mouvement, si rien ne la frappe. Mais il y a plaisir et plaisir plaisir éclairé, lumineux, raisonnable, qui porte à aimer la vraie cause qui le produit, à aimer le vrai bien, le bien de l'esprit; plaisir confus qui excite de l'amour pour des créatures impuissantes, pour de faux biens, pour les biens du corps. Le premier nous faisant aimer ce que nous devons raisonnablement aimer, il nous rend plus parfaits aussi bien que plus heureux. Le deuxième nous corrompt, parce qu'il nous fait aimer ce que l'ordre nous défend d'aimer. Mais tout plaisir actuel, en tant que plaisir, nous rend en quelque manière heureux, quoiqu'il n'y ait que les plaisirs raisonnables qui rendent solidement heureux, et qui nous conduisent à la jouissance du souverain bien; car les autres sont accompagnés de trouble, d'inquiétude, et de frayeurs de la véritable misère dont ils seront éternellement suivis.

Il est donc certain que tous les hommes justes ou injustes aiment le plaisir pris en général, ou veulent être heureux, et que c'est le motif unique qui les détermine à faire généralement tout ce qu'ils font. Il est si vrai que tous les hommes aiment le plaisir, que s'ils s'en privent quelquefois, c'est ou pour en avoir davantage, ou pour éviter son contraire, la douleur; ou enfin parce que l'inclination qu'ils ont pour la perfection de leur être s'y oppose, c'est-à-dire que la vue et l'amour de l'ordre immuable leur en donne de l'horreur. Car la grâce de Jésus-Christ par laquelle on résiste aux plaisirs déréglés est elle-même un saint plaisir ; c'est l'espérance et l'avantgoût du souverain plaisir. Celui qui est animé de l'amour de l'ordre a du moins quelque horreur des plaisirs qui se rapportent aux objets sensibles. Mais ôtez cette horreur, le voilà pris, supposé que la beauté de l'ordre ne le touche point, ne lui plaise point.

Tous les hommes veulent donc être heureux et parfaits; ou si l'on ne veut pas distinguer le bonheur d'avec la perfection, parce qu'en effet le vrai bonheur en est inséparable, tous les hommes

veulent invinciblement être heureux. Le désir de la béatitude formelle ou du plaisir en général est le fond ou l'essence de la volonté, en tant qu'elle est capable d'aimer le bien. C'est cet amour propre que ceux qui étudient le cœur humain conviennent qu'il est impossible de détruire, et qui est le principe ou le motif de tous nos mouvements particuliers. Il faut bien que l'amour de la béatitude soit une impression naturelle et commune à toutes les intelligences, puisqu'on découvre dans sa propre volonté qu'en cela tous les hommes se ressemblent; Beatos esse se velle omnes in corde suo vident, dit saint Augustin, tantaque est hac in re naturæ humanæ conspiratio, ut non fallatur homo qui hoc ex animo suo de animo conjicit alieno. (De Trinitate, lib. 13, cap. 20.)

S'il est donc vrai, comme le dit saint Augustin, que tous les hommes cherchent la béatitude dans tout ce qu'ils font de bien et de mal; depellendæ miseriæ causa et acquirendæ beatitudinis causa faciunt omnes quidquid vel boni faciunt vel mali (in Ps. 32); si, comme il le dit encore (De Trinitate, 13, 8), l'amour de la béatitude est une impression du créateur souverainement bon et immuablement heureux en lui-même; en un mot, si cet amour n'est que le mouvement naturel qu'on appelle volonté; il est clair qu'on ne peut aimer Dieu que par l'amour de la béatitude, puisqu'on ne peut aimer que par sa volonté. Ainsi tout amour de Dieu est intéressé en ce sens que le motif de cet amour, c'est que Dieu nous touche comme notre bien, et que nous sommes convaincus qu'il n'y a que lui qui puisse remplir le cœur qu'il a fait pour lui. Mais il ne faut pas confondre les motifs avec la fin. Notre volonté, l'amour de la béatitude, est une impression de Dieu commune aux bons, aux méchants, aux damnés même ; la délectation de la grâce par laquelle nous le goûtons comme notre bien, et la beauté de l'ordre par laquelle il nous touche et nous reforme sur notre loi, viennent aussi de lui. Mais tout cela nous unit à Dieu comme à notre bien; ce sont les motifs par lesquels nous tendons à Dieu comme à notre fin. Les saints contemplent les perfections divines; la beauté de ces perfections leur plaît, c'est-à-dire que la vue ou la perception dont ces perfections les affectent est vive et agréable, car le plaisir n'est qu'une perception agréable. Cette contemplation agréable est donc leur béatitude formelle ou les rend heureux. Mais cette contemplation est certainement inséparable des perfections contemplées, car la perception est inséparable de l'idée qui la cause, et ne peut se rapporter qu'à cette idée. Donc l'amour du plaisir est le motif qui fait aimer Dieu comme la fin; c'est le motif qui fait aimer ce qui plaît ou ce qui produit la perception agréable. Car enfin une

perception sans idée n'est point une perception; il n'y a point de plaisir dans l'àme lorsque rien ne lui plait. Le plaisir ou la perception agréable se rapporte donc naturellement à l'idée qui affecte l'âme agréablement, ou à ce que cette idée représente. Otez donc aux saints l'amour du plaisir ou de la perception agréable, vous ôtez l'amour de l'idée, et par conséquent l'amour de Dieu, car l'idée de Dieu ne peut être que Dieu, puisque rien de fini ne peut représenter l'infini. Ainsi, ôtez l'amour de la béatitude formelle, vous ôtez nécessairement l'amour de la béatitude objective ou l'amour de Dieu; c'est-à-dire que si Dieu ne produit en vous le motif de son amour, il est impossible que vous l'aimiez comme votre fin, comme votre souverain bien.

Il est vrai, dira-t-on, les saints ne peuvent aimer les perfections divines si leur beauté ne les touche point, si elle ne leur plaît nullement. Mais les saints ne les aiment point, ces perfections, à cause de ce plaisir qui les rend formellement heureux. Leur amour est pur, et cet amour est intéressé. Ils aiment Dieu en lui-même et pour lui-même, et nullement Dieu pour eux-mêmes. Ils s'oublient et se perdent, pour ainsi dire, dans la Divinité; ils se rapportent uniquement à Dieu, et par la parfaite conformité de leur volonté avec la sienne, ils se transforment de manière que Dieu est tout en eux et qu'ils ne sont rien.

Je ne prétends pas approuver ou réfuter tout ce qu'il y a de vrai et de faux dans ces propositions et de semblables, ni traiter à fond du quiétisme bon ou mauvais. Le respect que j'ai pour ceux qui ont entrepris d'éclaircir cette matière ne me le permet pas, et le peu de connaissance et d'expérience que j'ai des voies extraordinaires me le défend. Je prétends seulement expliquer ce que j'en pense, puisqu'un de mes amis m'y a malheureusement engagé dans son dernier ouvrage, malgré le dessein que j'avais pris de garder sur cela un profond silence; je dois expliquer mes sentiments, puisqu'on ne les prend pas bien.

Je crois donc que les plaisirs dont les saints sont touchés à la vue des perfections divines ne sont pas distingués de ces mêmes perceptions. Ces plaisirs ne sont, comme je viens de dire, que des perceptions, mais vives et agréables, de ces perfections, puisque tout sentiment agréable ou désagréable n'est que la perception d'une idée qui affecte l'âme diversement. Car il ne faut pas s'imaginer qu'une même idée touche toujours l'âme d'une même manière. Elle peut l'affecter d'une infinité de perceptions toutes différentes; ce qui fait bien voir que les idées sont fort différentes des perceptions qu'on en a. Si je pense, par exemple, à ma main sans la voir ni la

sentir, la perception que j'en aurai sera bien différente de celle que j'en aurais si je la regardais les yeux ouverts; et celle-ci différera de toutes celles que j'aurais, si je la mettais dans de l'eau chaude, froide, dans le feu, et le reste. Ainsi la couleur, la chaleur, la froideur, le plaisir que l'on sent dans sa main, ne sont autre chose que des perceptions de différents genres, et dont il y a plusieurs especes; perceptions, dis-je, produites toutes par la même idée, de la main actuellement présente à l'âme et agissant en elle par son efficace; car toutes nos idées particulières ne sont que la substance de Dieu même en tant que relatives aux créatures, ainsi que j'ai expliqué ailleurs, et cette substance est efficace par elle-même. Il n'y a que la substance de Dieu, dit saint Augustin, qui puisse agir immédiatement dans les esprits, les éclairer, les animer, les rendre heureux et parfaits. Insinuavit nobis animam humanam ei mentem rationalem non vegetari, non beatificari, non illuminari, nisi ab ipsa substantia Dei (Tract. 23, in Joan.).

Il me paraît donc 1o que l'amour du plaisir en général devient naturellement l'amour de tel bien, lorsque l'idée de tel bien produit dans l'âme la perception agréable par laquelle ce bien lui est rendu sensible; et qu'alors, si l'âme consent, si elle se repose dans ce plaisir, ce qu'elle ne doit jamais faire lorsque ce plaisir ne représente point clairement la vraie cause qui le produit, elle se repose dans ce bien dont elle a la perception. Elle aime ce bien non-seulement d'un amour naturel, mais encore d'un amour libre.

2o Que plus la perception est vive et agréable, plus aussi l'amour naturel est ardent; plus l'âme est remplie de l'objet qui lui plaît, plus elle s'occupe de lui, plus elle s'oublie elle-même lorsqu'elle suit toute l'impression que le plaisir fait en elle.

3° Que lorsque la perception agréable représente à l'âme la cause véritable qui la produit, ce qui n'arrive jamais dans les plaisirs confus des sens qui se rapportent non à Dieu, qui en est la cause véritable, mais aux objets sensibles, l'âme doit aimer ce qui lui est présenté; car alors c'est le vrai bien. Or, l'amour est d'autant plus parfait qu'il est plus grand pour le vrai bien; et l'on ne peut trop suivre les mouvements que produit en nous la délectation de la grâce, car cette délectation se rapporte naturellement au vrai bien.

4o Le souverain bien, le bien de l'esprit, en un mot le vrai bien, doit et veut être aimé non d'un amour d'instinct, semblable à celui dont on aime les corps, mais d'un amour éclairé. De sorte que l'âme ne doit pas aimer davantage ce dont elle a des perceptions plus vives et plus agréables; souvent même elle ne doit nullement l'ai

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