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ARISTE.

Je le crois ainsi, Théodore; parlez. Mais permettez

moi de vous arrêter lorsque je ne pourrai pas vous suivre. THÉODORE. Cela est juste. Écoutez.

I. Le néant n'a point de propriétés. Je pense, donc je suis Mais que suis-je, moi qui pense, dans le temps que je pense? Suisje un corps, un esprit, un homme? Je ne sais encore rien de tout cela. Je sais seulement que, dans le temps que je pense, je suis quelque chose qui pense. Mais voyons. Un corps peut-il penser ? Une étendue en longueur, largeur et profondeur peut-elle raisonner, désirer, sentir? Non, sans doute; car toutes les manières d'ètre d'une telle étendue ne consistent que dans des rapports de distance; et il est évident que ces rapports ne sont point des perceptions, des raisonnements, des plaisirs, des désirs, des sentiments, en un mot des pensées. Donc ce moi qui pense, ma propre substance, n'est point un corps, puisque mes perceptions, qui assurément m'appartiennent, sont tout autre chose que des rapports de distance.

ARISTE. – Il me paraît clair que toutes les modifications de l'étendue ne peuvent être que des rapports de distance, et qu'ainsi de l'étendue ne peut pas connaître, vouloir, sentir. Mais mon corps est peut-être quelque autre chose que de l'étendue, car il me semble que c'est mon doigt qui sent la douleur de la piqûre, que c'est mon cœur qui désire, que c'est mon cerveau qui raisonne. Le sentiment intérieur que j'ai de ce qui se passe en moi m'apprend ce que je vous dis. Prouvez-moi que mon corps n'est que de l'étendue, et je vous avouerai que mon esprit, ou ce qui est en moi qui pense, qui veut, qui raisonne, n'est point matériel ou corporel. II. THÉODORE. Quoi! Ariste, vous croyez que votre corps est composé de quelque autre substance que de l'étendue? Est-ce que vous ne comprenez pas qu'il suffit d'avoir de l'étendue pour en former par l'esprit un cerveau, un cœur, des bras et des mains, et toutes les veines, les artères, les nerss, et le reste dont votre corps est composé? Si Dieu détruisait l'étendue de votre corps, est-ce que vous auriez encore un cerveau, des artères, des veines et le reste? Concevez-vous bien qu'un corps puisse être réduit en un point mathématique? Car, que Dieu puisse former tout ce qu'il y a dans l'univers avec l'étendue d'un grain de sable, c'est de quoi je ne doute pas. Assurément où il n'y a nulle étendue, je dis nulle, il n'y a point de substance corporelle. Pensez-y sérieusement; et pour vous en convaincre, prenez garde à ceci.

Tout ce qui est, on le peut concevoir seul, ou on ne le peut pas. 1. St Augustin, Cité de Dieu, liv. XI, ch. 26.

Il n'y a point de milieu, car ces deux propositions sont contradictoires. Or, tout ce qu'on peut concevoir seul, et sans penser à autre chose, qu'on peut, dis-je, concevoir seul comme existant indépendamment de quelque autre chose, c'est assurément un être ou une substance; et tout ce qu'on ne peut concevoir seul, ou sans penser à quelque autre chose, c'est une manière d'être, ou une modification de substance.

Par exemple, on ne peut penser à la rondeur sans penser à l'étendue. La rondeur n'est donc point un être ou une substance, mais une manière d'être. On peut penser à l'étendue sans penser en particulier à quelque autre chose. Donc l'étendue n'est point une manière d'être : elle est elle-même un être. Comme la modification d'une substance n'est que la substance même de telle ou telle façon, il est évident que l'idée d'une modification renferme nécessairement l'idée de la substance dont elle est la modification. Et comme une substance c'est un être qui subsiste en lui-même, l'idée d'une substance ne renferme point nécessairement l'idée d'un autre ètre. Nous n'avons point d'autre voie pour distinguer les substances ou les êtres, des modifications ou des façons d'être, que par les diverses manières dont nous apercevons ces choses.

Or, rentrez en vous-même, n'est-il pas vrai que vous pouvez penser à de l'étendue sans penser à autre chose? N'est-il pas vrai que vous pouvez apercevoir de l'étendue toute seule? Donc l'étendue est une substance, et nullement une façon ou une manière d'être. Donc l'étendue et la matière ne font qu'une même substance. Or, je puis apercevoir ma pensée, mon désir, mon plaisir, sans penser à l'étendue, et même en supposant qu'il n'y a point d'étendue. Donc toutes ces choses ne sont point des modifications de l'étendue, mais des modifications d'une substance qui pense, qui sent, qui désire, et qui est bien différente de l'étendue.

Toutes les modifications de l'étendue ne consistent que dans des rapports de distance. Or, il est évident que mon plaisir, mon désir et toutes mes pensées ne sont point des rapports de distance. Car tous les rapports de distance se peuvent comparer, mesurer, déterminer exactement par les principes de la géométrie ; et l'on ne peut ni comparer ni mesurer de cette manière nos perceptions et nos sentiments. Donc mon âme n'est point matérielle. Elle n'est point la modification de mon corps. C'est une substance qui pense, et qui n'a nulle ressemblance avec la substance étendue dont mon corps est composé.

ARISTE. Cela me paraît démontré. Mais qu'en pouvez-vous conclure?

III. THEODORE. J'en puis conclure une infinité de vérités; car la distinction de l'âme et du corps est le fondement des principaux dogmes de la philosophie, et entre autres de l'immortalité de notre être 1; car, pour le dire en passant, si l'âme est une substance distinguée du corps, si elle n'en est point la modification, il est évident que quand même la mort anéantirait notre corps, ce qu'elle ne fait pas, il ne s'ensuivrait pas de là que notre âme fût anéantie. Mais il n'est pas encore temps de traiter à fond cette importante question. Il faut que je vous prouve auparavant beaucoup d'autres vérités. Tâchez de vous rendre attentif à ce que je vais vous dire.

ARISTE.

Continuez. Je vous suivrai avec toute l'attention dont

je suis capable.

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IV. THÉODORE. Je pense à quantité de choses, à un nombre, à un cercle, à une maison, à tels et tels êtres, à l'ètre. Donc tout cela est, du moins dans le temps que j'y pense. Assurément, quand je pense à un cercle, à un nombre, à l'ètre ou à l'infini, à tel ètre fini, j'aperçois des réalités; car si le cercle que j'aperçois n'était rien, en y pensant je ne penserais à rien. Or, le cercle auquel je pense a des propriétés que n'a pas telle autre figure. Donc ce cercle existe dans le temps que j'y pense, puisque le néant n'a point de propriétés, et qu'un néant ne peut être différent d'un autre néant. ARISTE. - Quoi, Théodore! tout ce à quoi vous pensez existe? Est-ce que votre esprit donne l'ètre à ce cabinet, à ce bureau, à ces chaises, parce que vous y pensez?

THÉODORE. Doucement. Je vous dis que tout ce à quoi je pense est, ou, si vous voulez, existe. Le cabinet, le bureau, les chaises que je vois, tout cela est, du moins dans le temps que je le vois. Mais vous confondez ce que je vois avec un meuble que je ne vois point. Il y a plus de différence entre le bureau que je vois et celui que vous croyez voir, qu'il n'y en a entre votre esprit et votre

corps.

ARISTE. Je vous entends en partie, Théodore, et j'ai honte de vous avoir interrompu. Je suis convaincu que tout ce que nous voyons, ou tout ce à quoi nous pensons, contient quelque réalité. Vous ne parlez pas des objets, mais de leurs idées. Oui, sans doute, les idées que nous avons des objets existent dans le temps qu'elles sont présentes à notre esprit. Mais je croyais que vous parliez des objets mêmes.

-

V. THÉODORE. Des objets mêmes, oh! que nous n'y sommes

1. Voy. la Recherche de la Vérité, liv. IV, ch. 2.

pas! Je tâche de conduire par ordre mes réflexions. Il faut bien plus de principes que vous ne pensez pour démontrer ce dont personne ne doute; car où sont ceux qui doutent qu'ils aient un corps, qu'ils marchent sur une terre solide, qu'ils vivent dans un monde matériel? Mais vous saurez bientôt ce que peu de gens comprennent bien, savoir, que si notre corps se promène dans un monde corporel, notre esprit, de son côté, se transporte sans cesse dans un monde intelligible qui le touche, et qui par là lui devient sensible.

Comme les hommes comptent pour rien les idées qu'ils ont des choses, ils donnent au monde créé beaucoup plus de réalité qu'il n'en a. Ils ne doutent point de l'existence des objets, et ils leur attribuent beaucoup de qualités qu'ils n'ont point. Mais ils ne pensent seulement pas à la réalité de leurs idées. C'est qu'ils écoutent leurs sens, et qu'ils ne consultent point assez la vérité intérieure ; car, encore un coup, il est bien plus facile de démontrer la réalité des idées, ou, pour me servir de vos termes, la réalité de cet autre monde tout rempli de beautés intelligibles, que de démontrer l'existence de ce monde matériel. En voici la raison.

C'est que les idées ont une existence éternelle et nécessaire, et que le monde corporel n'existe que parce qu'il a plu à Dieu de le créer. Ainsi, pour voir le monde intelligible, il suffit de consulter la raison, qui renferme les idées, ou les essences intelligibles, éternelles et nécessaires, ce que peuvent faire tous les esprits raisonnables ou unis à la raison. Mais pour voir le monde matériel, ou plutôt pour juger que ce monde existe, car ce monde est invisible par lui-même, il faut par nécessité que Dieu nous le révèle, parce que nous ne pouvons pas voir ses volontés arbitraires dans la raison nécessaire.

Or, Dieu nous révèle l'existence de ses créatures en deux manières, par l'autorité des livres sacrés et par l'entremise de nos sens. La première autorité supposée, et on ne peut la rejeter, on démontre1 en rigueur l'existence des corps. Par la seconde, on s'assure suffisamment de l'existence de tels et tels corps. Mais cette seconde n'est pas maintenant infaillible; car tel croit voir devant lui son ennemi, lorsqu'il en est fort éloigné; tel croit avoir quatre pattes, qui n'a que deux jambes; tel sent de la douleur dans un bras qu'on lui a coupé il y a longtemps. Ainsi la révélation naturelle, qui est en conséquence des lois générales de l'union de l'âme et du corps, est maintenant sujette à l'erreur je vous en dirai les raisons. Mais la révélation particulière ne peut jamais conduire

1. Entretien VI. 2. Entretiens IT' et IT.

directement à l'erreur, parce que Dieu ne peut pas vouloir nous tromper. Voilà un petit écart pour vous faire entrevoir quelques vérités que je vous prouverai dans la suite, pour vous en donner de la curiosité et réveiller un peu votre attention. Je reviens : écoutez-moi.

Je pense à un nombre, à un cercle, à un cabinet, à vos chaises, en un mot à tels et tels êtres. Je pense aussi à l'être ou à l'infini, à l'être indéterminé. Toutes ces idées ont quelque réalité dans le temps que j'y pense. Vous n'en doutez pas, puisque le néant n'a point de propriétés, et qu'elles en ont; car elles éclairent l'esprit, ou se font connaître à lui quelques-unes mème le frappent et se font sentir à lui, et cela en mille manieres différentes. Du moins est-il certain que les propriétés des unes sont bien différentes de celles des autres. Si donc la réalité de nos idées est véritable, et à plus forte raison si elle est nécessaire, éternelle, immuable, il est clair que nous voilà tous deux enlevés dans un autre monde que celui où habite notre corps: nous voilà dans un monde tout rempli de beautés intelligibles.

Supposons, Ariste, que Dieu anéantisse tous les êtres qu'il a créés, excepté vous et moi, votre corps et le mien. (Je vous parle comme à un homme qui croit et qui sait déjà beaucoup de choses, et je suis certain qu'en cela je ne me trompe pas. Je vous ennuierais si je vous parlais avec une exactitude trop scrupuleuse, et comme à un homme qui ne sait encore rien du tout.) Supposons de plus que Dieu imprime dans notre cerveau toutes les mèmes traces, ou plutôt qu'il produise dans notre esprit toutes les mêmes idées que nous devons y avoir aujourd'hui. Cela supposé, Ariste, dans quel monde passerions-nous la journée? Ne serait-ce pas dans un monde intelligible? Or, prenez-y garde, c'est dans ce monde-là que nous sommes et que nous vivons, quoique le corps que nous animons vive dans un autre et se promène dans un autre. C'est ce mondelà que nous contemplons, que nous admirons, que nous sentons. Mais le monde que nous regardons, ou que nous considérons en tournant la tête de tous côtés, n'est que de la matière invisible par elle-même, et qui n'a rien de toutes ces beautés que nous admirons et que nous sentons en le regardant ; car, je vous prie, faites bien réflexion sur ceci : le néant n'a point de propriétés. Donc, si le monde était détruit, il n'aurait nulle beauté. Or, dans la supposition que le monde fùt anéanti, et que Dieu néanmoins produisit dans notre cerveau les mèmes traces, ou plutôt dans notre esprit les mêmes idées qui s'y produisent à la présence des objets, nous verrions les mêmes beautés. Donc les beautés que nous voyons ne

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