ภาพหน้าหนังสือ
PDF
ePub
[blocks in formation]

THÉODORE. Eh bien, oui, Théotime lui-même.

ARISTE. Ah! l'honnête homme! Quelle joie ! que d'honneur ! THÉODORE. - Il a appris je ne sais comment que j'étais ici et que nous philosophions ensemble; car quand Ariste est quelque part on le sait bientôt. C'est que tout le monde veut l'avoir. Voilà ce que c'est que d'être bel esprit et d'avoir tant de qualités brillantes : il faut se trouver partout pour ne chagriner personne. On n'est plus à soi.

ARISTE.
THÉODORE.

Quelle servitude!

En voulez-vous être délivré? Devenez méditatif, et tout le monde vous laissera bientôt là. Le grand secret de se délivrer de l'importunité de bien des gens, c'est de leur parler raison. Ce langage qu'ils n'entendent pas les congédie pour toujours, sans qu'ils aient sujet de s'en plaindre.

ARISTE. Cela est vrai. Mais, Théotime, quand l'aurons-nous? THÉODORE. Quand il vous plaira. ARISTE. Hé! je vous prie de l'avertir incessamment que nous l'attendons, et de l'assurer surtout que je ne suis plus ce que j'étais autrefois. Mais que cela ne rompe point, s'il vous plaît, la suite de nos entretiens. Je renonce à mon doute, Théodore; mais je ne suis pas fâché de vous l'avoir proposé, car par les choses que vous m'avez dites j'entrevois le dénouement de quantité de contradictions apparentes que je ne pouvais accorder avec la notion que nous avons de la Divinité. Lorsque nous dormons, Dieu nous fait voir mille objets qui ne sont point. C'est qu'il suit et doit suivre les lois générales de l'union de l'âme et du corps. Ce n'est point qu'il veuille nous tromper. S'il agissait en nous par des volontés particulières, nous ne verrions point dans le sommeil tous ces fantômes. Je ne m'étonne plus de voir des monstres et tous les déréglements de la nature. J'en vois la cause dans la simplicité des voies de Dieu. L'innocence opprimée ne me surprend plus : si les plus forts l'emportent ordinairement, c'est que Dieu gouverne le monde par des lois générales, et qu'il remet à un autre temps la vengeance des crimes. Il est juste, nonobstant les heureux succès des impies, nonobstant la prospérité des armes des conquérants les plus injustes. Il est sage, quoique l'univers soit rempli d'ouvrages où il se rencontre mille défauts. Il est immuable, quoiqu'il semble se contredire à tous moments, quoiqu'il ravage par la grêle les terres qu'il avait couvertes de fruits par l'abondance des pluies. Tous ces effets qui se contredisent ne marquent point de contradiction ni de changement dans la cause qui les produit. C'est, au contraire, que Dieu suit invio

lablement les mêmes lois, et que sa conduite n'a nul rapport à la nôtre. Si tel souffre de la douleur dans un bras qu'il n'a plus, ce n'est point que Dieu ait dessein de le tromper; c'est uniquement que Dieu ne change point de dessein, et qu'il obéit exactement à ses propres lois; c'est qu'il les approuve, et qu'il ne les condamnera jamais; c'est que rien ne peut troubler l'uniformité de sa conduite, rien ne peut l'obliger à déroger à ce qu'il a fait. Il me semble, Théodore, que j'entrevois que ce principe des lois générales a une infinité de conséquences d'une très-grande utilité. THÉODORE. Bon cela, mon cher Ariste. Vous me donnez bien de la joie. Je ne pensais pas que vous eussiez été assez attentif pour bien prendre les principes dont dépendent les réponses que je vous ai faites. Cela va fort bien; mais il faudra examiner à fond ces principes, afin que vous en connaissiez plus clairement la solidité et leur merveilleuse fécondité; car ne vous imaginez pas qu'il vous suffise de les entrevoir, et même de les avoir compris, pour être en état de les appliquer à toutes les difficultés qui en dépendent. Il faut par l'usage s'en rendre comme le maître, et acquérir la facilité d'y rapporter tout ce qu'ils peuvent éclaircir. Mais je suis d'avis que nous remettions l'examen de ces grands principes jusqu'à ce que Théotime soit arrivé. Tâchez cependant de décou→ vrir par vous-même quelles sont les choses qui ont avec nous quelque liaison, quelles sont les causes de ces liaisons, et quels en sont les effets; car il est bon que votre esprit soit préparé sur ce qui doit être le sujet de nos entretiens, afin que vous puissez plus facilement ou me reprendre si je m'égare, ou me suivre si je vous conduis directement où nous devons tendre de toutes nos forces.

SEPTIÈME ENTRETIEN.

De l'inefficace des causes naturelles, ou de l'impuissance des créatures. Que nous ne sommes unis immédiatement et directement qu'à Dieu seul.

Après bien des compliments de part et d'autre entre Ariste et Théotime, Ariste ayant remarqué que Théodore n'était pas tout à fait content de ce que cela ne finissait point, et voulant céder au nouveau venu la gloire de ce petit combat d'esprit, il se tut, et Théodore, prenant la parole, crut devoir dire à Théotime en faveur d'Ariste :

THÉODORE. En vérité, Théotime, je ne pensais pas que vous fussiez si galant homme. Vous avez obligé Ariste à se rendre, lui qui ne se rendit jamais à personne. Voilà une victoire qui vous

ferait bien de l'honneur si vous l'aviez remportée chez Philandre. Mais apparemment elle vous aurait coûté plus cher; car, ne vous y trompez pas, c'est qu'Ariste veut faire chez lui les honneurs. Il vous le cède ici par complaisance et par une espèce de devoir.

THÉOTIME.

[ocr errors]

Je n'en doute pas, Théodore. Je vois fort bien qu'il veut m'épargner.

[ocr errors]

ARISTE. Ah! cessez l'un et l'autre de me pousser, ou du moins, Théodore, laissez-moi la liberté de me défendre.

THÉODORE. —Non, Ariste. Ne voilà que trop de discours inutiles. Nous nous taisons, Théotime et moi. Parlons de quelque chose de meilleur. Dites-nous, je vous prie, ce qui vous est venu dans l'es- ' prit sur le sujet que je vous proposai dans notre dernier entretien. Quelles sont les choses avec qui nous avons quelque liaison? Quelles sont les causes de ces liaisons, et quels en sont les effets? Car nous aimons mieux vous entendre philosopher que de nous voir accablés d'une profusion de douceurs et d'honnêtetés.

ARISTE. Vous supposez, je crois, Théodore, que j'ai veillé toute la nuit pour régaler Théotime de quelque discours étudié. THÉODORE.-Laissez tout cela, Ariste, et parlons naturellement. I. ARISTE. - Il me semble, Théodore, qu'il n'y a rien à quoi je sois plus étroitement uni qu'à mon propre corps; car on ne peut le toucher sans m'ébranler moi-même. Dès qu'on le blesse, je sens qu'on m'offense et qu'on me trouble. Rien n'est plus petit que la trompe de ces cousins importuns qui nous insultent le soir à la promenade; et cependant, pour peu qu'ils enfoncent sur ma peau la pointe imperceptible de leur trompe venimeuse, je me sens percé 'dans l'âme. Le seul bruit qu'ils font à mes oreilles me donne l'alarme marque certaine que je suis uni à mon corps plus étroitement qu'à toute autre chose. Oui, Théodore, cela est si vrai, que ce n'est même que par notre corps que nous sommes unis à tous ces objets qui nous environnent. Si le soleil n'ébranlait point mes yeux, il serait invisible à mon égard; et si malheureusement pour moi je devenais sourd, je ne trouverais plus tant de douceur dans le commerce que j'ai avec mes amis. C'est même par mon corps que je tiens à ma religion; car c'est par mes oreilles et par mes yeux que la foi m'est entrée dans l'esprit et dans le cœur. Enfin c'est par mon corps que je tiens à tout. Je suis donc uni à mon corps plus étroitement qu'à toute autre chose.

THÉODORE.

[ocr errors]

Avez-vous médité long-temps, mon cher Ariste, pour faire cette grande découverte ?

THEOTIME. - Tout cela se peut fort bien dire, Théodore. THÉODORE. Oui, Théotime, par des gens qui ne consultent

que leurs sens. Pour qui prenez-vous Ariste, d'approuver dans sa bouche ce qu'il n'y a point de paysan qui ne puisse dire? Je ne reconnais plus Ariste dans cette réponse.

ARISTE.

- Je vois bien que j'ai fort mal débuté. THÉODORE. Fort mal assurément. Je ne m'attendais pas à ce début; car je ne croyais pas qu'aujourd'hui vous eussiez oublié ce que vous saviez hier. Mais les préjugés reviennent toujours à la charge et nous chassent de nos conquêtes, si par notre vigilance et de bons retranchements nous ne savons nous y maintenir. Oh bien! je vous soutiens que nous ne sommes nullement unis à notre corps, bien loin de l'être à lui plus étroitement qu'à toute autre chose. J'outre un peu mes expressions, afin qu'elles vous frappent vivement et que vous n'oubliez plus ce que je vous dis. Non, Ariste, à parler exactement et en rigueur, votre esprit n'est et ne peut être uni à votre corps; car il ne peut être uni qu'à ce qui peut agir en lui. Or, pensez-vous que votre corps puisse agir dans votre esprit? pensez-vous que ce soit par lui que vous êtes raisonnable, heureux ou malheureux, et le reste? Est-ce votre corps qui vous unit à Dieu, à la raison qui nous éclaire; ou si c'est Dieu qui vous unit à votre corps, et par votre corps à tout ce qui vous environne?

ARISTE. Assurément, Théodore, c'est Dieu qui a uni mon esprit à mon corps. Mais ne pourrait-on pas dire.....

THÉODORE. - Quoi? Que c'est votre esprit qui agit maintenant sur votre corps, et votre corps sur votre esprit? Je vous entends. Dieu a fait cette union de l'esprit et du corps. Mais ensuite voilà votre corps, et par lui tous les objets, capables d'agir dans votre esprit. Cette union faite, voilà aussi votre esprit capable d'agir dans votre corps, et par lui sur ceux qui vous environment. N'estce pas là ce qu'on pourrait peut-être dire?

ARISTE. Il y a là quelque chose que je n'entends pas trop bien. Comment tout cela se fait-il? Je vous parle comme ayant oublié la meilleure partie de ce que vous m'avez dit, faute d'y avoir pensé.

THÉODORE. - Je m'en doute bien. Vous voulez que je vous prouve plus exactement et plus en détail les principes sur lesquels je vous ai parlé jusqu'ici. Il faut tâcher de vous satisfaire. Mais je vous prie de vous rendre attentif et de me répondre, et vous, Théotime, de nous observer tous deux.

II. Pensez-vous, Ariste, que la matière, que vous ne jugez peutêtre pas capable de se remuer d'elle-même, ni de se donner aucune modalité, puisse jamais modifier un esprit, le rendre heureux

ou malheureux, lui représenter des idées, lui donner divers sentiments? Pensez-y et répondez-moi.

[blocks in formation]

THÉODORE. Encore un coup, pensez-y. Consultez l'idée de l'étendue; et jugez par cette idée, qui représente les corps, ou rien ne les représente, s'ils peuvent avoir d'autre propriété que la faculté passive de recevoir diverses figures et divers mouvements. N'est-il pas évident, de la dernière évidence, que toutes les propriétés de l'étendue ne peuvent consister que dans des rapports de distance?

ARISTE. Cela est clair, et j'en suis déjà demeuré d'accord. THÉODORE. Donc il n'est pas possible que les corps agissent sur les esprits.

[ocr errors]

ARISTE. Non par eux-mêmes, par leur propre force, vous dira-t-on. Mais pourquoi ne le pourront-ils point par une puissance qui résulte de leur union avec les esprits?

THÉODORE. —Que dites-vous, par une puissance qui résulte de leur union? Je n'entends rien dans ces termes généraux. Souvenezvous, Ariste, du principe des idées claires. Si vous le quittez, vous voilà dans les ténèbres. Au premier pas vous tomberez dans le précipice. Je conçois bien que les corps, en conséquence de certaines lois naturelles, peuvent agir sur notre esprit, en ce sens que leurs modalités déterminent l'efficace des. volontés divines ou des lois générales de l'union de l'âme et du corps; ce que je vous expliquerai bientôt. Mais que les corps puissent recevoir en euxmêmes une certaine puissance, par l'efficace de laquelle ils puissent agir dans l'esprit, c'est ce que je ne comprends pas; car que serait-ce que cette puissance? Serait-ce une substance ou une modalité? Si c'est une substance, les corps n'agiront point, mais cette substance dans les corps. Si cette puissance est une modalité, voilà donc une modalité dans les corps qui ne sera ni mouvement ni figure. L'étendue pourra avoir d'autres modalités que des rapports de distance. Mais à quoi est-ce que je m'arrête ! C'est à vous, Ariste, à me donner quelque idée de cette puissance que vous concevez comme l'effet de l'union de l'âme et du corps.

ARISTE. Nous ne savons pas, vous dira-t-on, ce que c'est que cette puissance. Mais que pouvez-vous conclure de l'aveu que nous faisons de notre ignorance?

THÉODORE.

qu'on dit.

Qu'il vaut mieux se taire que de ne savoir ce

ARISTE. D'accord. Mais on ne dit que ce qu'on sait lorsqu'on

« ก่อนหน้าดำเนินการต่อ
 »