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Dieu existe, par cela seul que nous avons l'idée de Dieu; et nous croyons, sur la foi de Dieu, qui ne peut nous tromper, à l'existence de la matière comme substance étendue.

Ces principes de la philosophie de Descartes deviennent ceux de Malebranche; pour lui, comme pour Descartes, l'évidence est le critérium de la certitude; comme Descartes, et plus que lui peut-être, en sa qualité de prêtre, il veut mettre à part, comme dans une arche sainte, les vérités de la foi, et proteste de sa soumission à l'autorité, comme chrétien, tout en ne voulant relever que de la raison, comme philosophe; comme Descartes, il part de l'observation de la nature humaine, et passe des réalités objectives aux réalités formelles, ou des idées de l'homme aux objets de ces idées; il regarde l'âme comme une substance pensante, le corps comme une substance étendue, l'idée de l'infini comme la preuve de l'existence de l'infini, et la véracité de Dieu comme le stable fondement sur lequel doit reposer notre croyance à l'existence des corps. Ces trois principes, que l'âme est une substance pensante, et le corps une substance étendue, et que la seule idée de Dieu en nous prouve invinciblement l'existence de Dieu, servent de point de départ à toute la philosophie de Malebranche. Cette double définition de l'âme et de la matière par la pensée et l'étendue serait excellente si on n'y cherchait que l'élément différentiel; car il est aussi impossible à l'âme d'être étendue, qu'il l'est à la matière de concevoir une pensée. Mais Descartes, qui voyait dans sa pensée la preuve de son existence, concluait sur-le-champ que l'essence propre de son être était la pensée; et ce caractère était pour lui générique et non spécifique, essentiel et non différentiel. Cependant, Descartes ne disait pas seulement : Je pense, donc je suis; mais il disait : Je doute, je pense, je suis. Ce passage du doute à la résolution du doute par l'évidence de l'existence propre lui eût dû présenter un phéno

a.

mène tout aussi évident que la pensée elle-même : car son doute impliquait la volonté de douter, et un effort permanent pour résister à ses anciennes croyances et à la tendance naturelle de son esprit; et son adhésion ne provenait que de ce qu'il avait rencontré la limite de sa puissance à cet égard. Dans cette opposition du doute et de la croyance, il avait donc déjà l'opposition de la force de la volonté à une autre force; à cette force d'une lumière que l'homme ne peut pas feindre de ne pas voir; et, par conséquent, l'essence de l'âme aurait dû lui paraître caractérisée par la notion de force aussi bien que par la notion d'intelligence. Mais il ne fut frappé que d'un seul point de vue, et c'est pourquoi il eut tant de peine à reconnaître luimême, et surtout à faire reconnaître des autres le véritable caractère de sa proposition fondamentale: Je pense, donc je suis. Du reste, si sa psychologie fuț incomplète à cause de cette omission, ce qu'il connaissait de la nature intime de l'âme lui suffit pour établir le spiritualisme avec la clarté et l'évidence la plus incontestable. Il y parvint même avec d'autant plus de facilité, qu'il était en possession d'un élément de différence qui n'est pas en même temps un élément de relation; tandis que la puissance propre de l'âme, qui est aussi un élément différentiel, puisque la matière ne saurait être cause si ce n'est à titre d'intermédiaire, est en même temps la cause, et par conséquent la preuve, des rapports directs qui subsistent entre l'âme et le corps. Descartes ne connut jamais la volonté sous sa véritable forme, et il la confondit constamment avec le désir 2. « On peut dire avec quelque assurance, dit Malebranche dans sa préface de la Recherche de la Vérité, qu'on n'a point

1. Descartes, Principes, 7.

2. Principes, prrmière partie, 39. Passions, 31, 43. Ce n'est pas que Descartes n'ait reconnu formellement la liberté, cf. Principes, 37; mais il faut voir dans quelles conditions, et quel est le rôle qu'il lui assigne.

assez clairement connu la différence de l'esprit et du corps que depuis quelques années. » Fort bien; mais les cartésiens connurent si bien cette différence, que le rapport leur échappa tout à fait, et qu'ils furent réduits à inventer chacun une théorie différente pour combler un même défaut, qui leur est commun à tous, à savoir l'absence d'un lien naturel et direct entre les mouvements parallèles de l'âme et du corps.

Si notre personne est une force pensante, n'est-il pas évident qu'on la diminue et qu'on l'efface quand on ne lui laisse que la pensée et qu'on ne la considère pas comme une force? L'homme n'est plus un acteur dans le monde; il n'est guère qu'un spectateur; et sa dignité se trouve ainsi diminuée et amoindrie dans un système rationaliste et psychologique par l'omission d'un fait important, comme elle l'est chez les mystiques par un sentiment d'humilité profonde et par la contemplation des perfections divines qui ne permettent plus d'attribuer à l'homme aucune vertu. A la fois cartésien et mystique, Malebranche a fait une philosophie où la puissance de l'homme ne se retrouve plus, où sa pensée elle-même perd son existence propre et ne vit que par son intime union avec la pensée divine. La substance pensante de l'homme entre Dieu, qui est son tout, et le corps sur lequel elle ne peut rien, n'est qu'un embarras dans le système de Malebranche; elle n'a guère de propre que sa substantialité, et, suivant Malebranche, la substance est un mot sous lequel nous n'avons aucune idée elaire. Spinosa ne fait qu'un pas de plus.

Une des plus grandes difficultés de la science, c'est de rendre compte de la communication entre les substances. La notion de force servait à Leibnitz pour expliquer l'identité d'un être sous la pluralité des modifications successives qu'il développe en lui-même; Maine de Biran l'emploie

pour expliquer une relation, non d'identité, mais d'influence entre une force et l'objet passif qu'elle a pour terme de son action; mais la théorie même de Maine de Biran est une constatation, et non une explication du fait. Elle rend incontestable, par une observation expérimentale, le fait d'une communication entre les substances, et ôte la place à l'harmonie préétablie et aux causes occasionnelles; mais le comment de cette communication demeure inconnu, et les objections tirées de la différence des substances et de leurs attributs subsistent. Pour Malebranche, cet abîme sans fond n'est pas effrayant; car, au lieu de songer à le combler, il ne pense qu'à l'agrandir. Loin de chercher une explication de la communication entre les substances, il déclare l'explication et le fait impossibles; il démontre cette impossibilité; il raille les philosophes qui regardent une affection physique comme le germe d'une modification intellectuelle qui découvrent une analogie quelconque entre la pointe d'une épingle et la douleur de la blessure; qui admettent qu'un mouvement physique, en se développant suivant de certaines lois, devient tout à coup une pensée ; et croient à la continuation et à la durée d'un même phénomène qui, dans le premier moment, s'appelle un carré, un cercle; . une couleur, et, dans le dernier, une croyance, un jugement, un souvenir. Et, qu'on y prenne garde, de cette séparation profonde établie entre les deux substances, de cette impossibilité d'influence et d'action réciproque, il ne s'ensuit pas seulement que les mouvements du corps propre ne sont pas le résultat des affections de l'âme ; il s'ensuit que les conceptions et les perceptions de l'âme ne sont pas le résultat d'impressions faites sur les organes par les objets extérieurs. Par là notre âme, livrée à elle-même, se trouve rejetée dans une solitude profonde, privée à la fois d'action et de réaction, ne pouvant ni mouvoir les corps ni recevoir d'eux, par la voie directe, l'avertissement de leur

présence. En exagérant la portée de la proposition fondamentale de Descartes, en s'appuyant sur ses définitions, en continuant de séparer de plus en plus le monde corporel et le monde spirituel, en transformant une difficulté en impossibilité, Malebranche isole la nature humaine, anéantit sa puissance; et, bientôt réduit à nier les faits et l'évidence même, ou à rejeter ses propres déductions, il sort de ce dilemme embarrassant par sa double hypothèse de la vision en Dieu et des causes occasionnelles dont sa théorie de la grâce est le complément et l'auxiliaire. Ainsi la méthode de Malebranche accomplit tout son système en deux pas d'abord elle creuse un abîme infranchissable par les facultés de l'homme, entre l'homme et toute substance étrangère; ensuite, elle explique la connaissance de Dieu et de tout le reste par notre union avec Dieu; l'action sur le monde, et en général toute action humaine, par l'intervention divine, c'est-à-dire par la théorie des causes occasionnelles et de la grâce 1.

Il n'est pas difficile à Malebranche de montrer que nous ne pouvons connaître Dieu sans Dieu, et d'établir, comme Descartes et tant d'autres philosophes illustres, que l'idée de l'infini que je trouve en moi ne peut me venir ni de moi ni d'aucune nature finie, et que, par conséquent, elle me vient d'un infini actuellement existant, et qui daigne se communiquer actuellement à moi. Il ne lui est pas difficile de montrer que les lois éternelles de la raison, qui gouvernent le monde depuis sa naissance, et qui subsisteraient encore pour les mondes à venir si celui que nous habitons était détruit; que ces lois, dis-je, ne sont pas d'origine humaine, ne dépendent pas de nos facultés, et sont l'intelligence même

1. La distinction de l'âme et du corps est le fondement de toutes les connaissances qui ont rapport à l'homme. » Premier Entretien, 3, Cf. Recherche de la Térité, liv. 4, ch. 2.

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