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devint peu à peu, sans doute, un favori fort semblable à un tyran, mais il resta un favori, veillant avec anxiété sur le cœur d'un maître dont un caprice pouvait le perdre, faisant la police de son confessionnal, lui donnant pour l'amuser de petits favoris à ses ordres, Baradat et SaintSimon, puis les exilant sans pitié, contraignant mademoiselle de Lafayette de chercher un asile dans un cloître1, et reléguant madame de Hautefort dans le fond d'une province2, sans parler de Cinq-Mars, le fils de son ami d'Effiat, qu'il mit lui-même auprès du roi, qui trompa ses espérances, se jeta dans une conspiration insensée, et qu'il fit monter à vingt-deux ans sur l'échafaud. Voilà certes un terrible favori. En voici un autre d'un genre différent.

Nous avons raconté ailleurs les débuts de Mazarin auprès de la reine Anne, ses lents progrès, son triomphe 3. C'est bien là aussi, et plus sensible encore, la carrière d'un favori. Si Mazarin a tiré d'immenses avantages de la haute faveur qu'il avait tant recherchée, surtout pendant les orages de la Fronde où l'affection fidèle de la reine lui fut un si précieux appui, il a connu aussi, il a ressenti dans toute leur amertume les continuels soucis, les jalouses inquiétudes, toutes les misères attachées à cette brillante et périlleuse condition. En 1643, l'ombre seule de la rivalité du jeune duc de Beaufort le troubla cruellement. Malgré sa naturelle et politique indulgence, qui le distingue, à son avantage, de son impitoyable devancier, il enleva ou ferma le ministère à quiconque n'était pas disposé à le servir; il chassa du palais de la reine tout ce qui lui faisait ombrage, et il rapprit à la plus noble des femmes, madame de Hautefort, le chemin de la disgrâce. En 1652, exilé, hors de France, il rompt son ban, s'élance des bords du Rhin pour venir rejoindre la reine à Poitiers, à travers mille périls, de peur de laisser Châteauneuf s'établir auprès d'elle et dans le ministère 5. Mazarin a été incontestablement le favori d'Anne d'Autriche; mais ce titre, que ses ennemis se sont tant plu à lui jeter comme une injure, qui a retenti dans mille et mille pamphlets et en a imposé aux historiens vulgaires, a-t-il diminué, aux yeux des hommes d'État, l'habile et courageux défenseur de la monarchie, le vainqueur de la Fronde, l'immortel négociateur du traité de Westphalie et du traité des Pyrénées ?

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Richelieu et Mazarin sont de bien glorieux favoris, et nous n'enten

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Voyez Madame de Hautefort, chapitre 1", et l'Appendice. - Ibid. chap. 11. — Ibid. chap. IV; Madame de Chevreuse, deuxième édition, chap. v; La jeunesse de madame de Longueville, cinquième édition, chap. III. — Madame de Hautefort, chap. v. Madame de Chevreuse, chap. vII, p. 320.

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dons pas mettre à côté d'eux Luynes, ni pour l'esprit, ni pour le caractère, ni pour les services; mais nous n'hésitons pas aussi à le placer fort au-dessus des autres favoris ses contemporains, le maréchal d'Ancre, Lerme, Buckingham, qui, tous les trois, ont laissé les trônes sur lesquels ils s'appuyaient, abaissés ou même en péril, tandis que Luynes a relevé celui de Louis XIII, et, tant qu'il a vécu, l'a maintenu, au dehors et au dedans, plus puissant qu'il ne l'avait trouvé.

Oui, Luynes est un favori; nous ne l'avons point dissimulé, et luimême le savait parfaitement; il savait que sa fortune et son pouvoir reposaient sur la faveur de Louis XIII, et cette faveur, qui était toute sa force, il la défendait avec une jalousie inquiète. Il ne laissa donc pas, comme nous l'avons dit, rentrer dans le conseil Marie de Médicis, derrière laquelle il voyait Richelieu; et même, à son influence renaissante, il eut l'art d'opposer celle de la jeune reine, qui, par sa beauté, sa douceur, sa modestie, agréait de plus en plus à son mari. C'était Luynes qui les avait rapprochés et s'était appliqué à entretenir leur union; c'était lui encore qui avait conseillé au roi de confier à sa jeune femme le gouvernement de l'État pendant son absence, en lui laissant pour la conduire le vieux chancelier de Silleri et le vieux président Jeannin. Anne avait été flattée de cette marque de confiance; elle savait à qui elle en était redevable, et elle l'avait mandé en Espagne à Philippe III, en le priant d'en remercier Luynes 2. Dès son enfance, à Madrid, elle

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Madame de Chevreuse, ch. 1, p. 32, et Appendice, p. 337 et 338. Cette lettre d'Anne d'Autriche, écrite le 6 juillet, c'est-à-dire la veille du départ de Louis XIII, est conservée parmi les papiers de Simancas qui sont aux Archives de l'Empire. La reine y dit que le duc de Luynes a eu grande part à la résolution du roi, et elle prie son père de l'en remercier. Elle a soin aussi de relever l'étendue du pouvoir que le roi lui a conféré. Papiers de Simancas, A, 42, 50: «Aviendo partido el rey para ir á quietar los movimientos de su reyno, me ha dejado aqui con órden y mando general para todos sus negocios, y assi acudo á todo lo que se offrece con la misma autoridad que «el. Parece me que esta confiança viene á ser de gran estimacion para mi, porque esto non se ha hecho nunca con ninguna reyna, y assi, para que vean acá como V. M. se interessa in mis cosas, desseo infinito que V. M. haga alguna demostracion muy particular de la buena voluntad que tiene el rey, y de acudirlo en esta ocasion, yo se lo he dicho á don Fernando Giron (ambassadeur d'Espagne à Paris) para que se lo escribe á V. M. muy particularmente, y, aviendo tenido tan gran parte en esto il duque de Luyne, supplico á V. M. aga de manera que el conosca que V. M. se lo agredeçera.» Philippe III envoya la lettre de sa fille à son Conseil, qui, le 9 août, en délibéra, exprima l'avis de faire ce que désirait la reine de France, et, le 2 septembre, le roi d'Espagne écrivait à don Fernando Giron de faire ses plus empressés remercîments au roi très-chrétien, sans oublier le duc de Luynes. (Ibid. A, 61, 49.)

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avait vu un favori à son père; elle ne trouvait donc pas étrange que Louis en eût un aussi, et l'ami du roi était aisément devenu celui de la reine, d'autant plus que les premiers ombrages qu'avaient inspirés à la sensible et fière Espagnole les familiarités de Louis XIII avec la belle et spirituelle Marie de Rohan s'étaient entièrement dissipés et avaient fait place au goût le plus vif, à l'affection la plus tendre. La duchesse de Luynes, surintendante de la maison de la reine, demeurant au Louvre avec son mari, était sans cesse auprès de sa royale amie, et, sans l'opprimer, comme le dit Richelieu avec une révoltante injustice1, elle avait pris sur elle l'ascendant que lui donnait sa charge, et surtout sa vivacité et son énergie naturelles, sur une étrangère douce et timide en apparence, qui, se sentant sans appui en France, n'osait pas laisser paraître encore ce qu'il y avait en elle de fermeté et de passion. Le contraste même du caractère des deux jeunes femmes leur était un attrait de plus, qui les rendait agréables et nécessaires l'une à l'autre. Ainsi, du côté de la reine, Luynes était sans inquiétude; mais le roi lui était un continuel sujet d'alarmes. Comme il le savait au fond soupçonneux et d'humeur inégale, le moindre incident pouvait devenir un précipice, et le plus léger goût que le roi montrait pour quelqu'un lui semblait une menace à son pouvoir.

Nous avons vu qu'en 1617 Luynes s'effraya du penchant de Louis pour une des filles d'honneur de la reine, mademoiselle de Maugiron. Richelieu aurait cherché querelle à l'aimable dame, et l'eût fait chasser sous quelque prétexte; Luynes l'éloigna dans un riche mariage 2. Parmi

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1 Mémoires de Richelieu, t. II, p. 35, et notre sixième article, novembre 1861, p. 716, la note. Voyez notre premier article, mai 1861, p. 272. L'ambassadeur vénitien et son collègue, le nonce apostolique, insistent sur ce petit épisode, tout à fait ignoré jusqu'ici, de la jeunesse de Louis XIII. Ambassadeur vénitien, dépêche du 1 août 1617: « La regina sposa, dal veder che il re con qualche dimestichezza " e familiarità più che con lei conversava e giocava con madamosella di Morgeron (sic) «assai vistosa sua dama di camera, è intrata in tanto sospetto e gelosia e mostrava « di riceverne tanta pena che in fine per sincerarla il re ha assentito che sia la dama «< rimandata ai suoi parenti con assignatione di dieci mille scudi per la dote; con che « la regina si è sollevata grandemente. Bentivoglio, dépêche du 5 juillet 1617: « E « stato detto più volte che il re avesse qualche senso di amore verso madamosella di Mongiron (sic), dama della regina sua moglie, ma si rinforzò poi questa voce ul«timamente quando il re andò a Fontaneblò sino a essersi detto che in quel luogo « dormisse con lei; il che però non s'è verificato, anzi piutosto si conosce che il re << sin qui non ha senso alcuno in materia di donne. La detta voce fece entrare in gealosia la regina, se ben S. M. ha dissimulato e fa quanto può per dar gusto al re. «S'è poi preso per espediente di levar di corte la dama predetta con occasione di darle « marito, il che seguirà in breve. Luines particolarmente s'è portato bene in questa

les jeunes officiers qui avaient été élevés enfants d'honneur avec le jeune monarque, nul, après Luynes, n'était mieux avec lui que le dernier des fils de La Force, Montpouillan, qui montrait déjà l'esprit hardi et le courage dont il donna plus tard, en 1621, d'éclatantes marques. Les Mémoires de La Force ont sans doute fort exagéré ses services dans la journée du 24 avril 1617, et l'amitié qu'avait pour lui le roi1; mais cette amitié était assez vive pour inquiéter Luynes; et, comme le jeune La Force était calviniste, il arriva bientôt de divers côtés à Louis de pieuses remontrances sur le scandale du crédit qu'il accordait à un protestant, en sorte que Montpouillan dut aller retrouver son père dans les Pyrénées, sous le prétexte que lui seul pouvait persuader au gouverneur du Béarn d'exécuter l'arrêt du Conseil sur la restitution des biens ecclésiastiques. Mais voici des ombrages de Luynes un bien plus frappant exemple. Déageant avait pris une part considérable à la conspiration qui porta Luynes au pouvoir. Un des premiers commis du surintendant des finances, Barbin, il le trahit, et mit au service des conjurés ce qu'il apprenait par ses fonctions des desseins du maréchal d'Ancre, une assez grande expérience des affaires et un esprit plein de ressources. Luynes le combla, comme il fit tous ses complices; il le nomma un des directeurs des finances, et lui ouvrit même l'entrée du Conseil intime, où se traitaient les plus hautes affaires de l'État. Déageant y déploya, à ce qu'il paraît, une remarquable capacité, et le roi goûtait et suivait ses avis. Jaloux de ce crédit naissant, les vieux ministres, les frères de Luynes et ses plus chers amis lui peignirent Déageant comme un homme qui cherchait à se faire auprès du roi une influence en dehors de la sienne. C'en fut assez pour ce jaloux es

materia, come in tener bene inclinato il re verso la moglie. » Le même, dépêche du 19 juillet: Ho scoperto per altra via ancora che Luines procura che si mariti "madamosella di Mongiron, dama della regina, e ciò non solo affine di levar l'occasione di far nascer disgusto fra la detta regina e il re per quei rispetti ch' accen«nai l'ordinario passato, ma ancora per l'interesse prossimo di esso Luines, vedendo egli che il maggior pericolo gli può soprastare da qualche nuovo confidente che s'introduca appresso il re in cose d'amore. Al re non mancheranno di questi istromenti, e perciò Luines procura che il re stia bene colla moglie, essendo questo l'amore che più fa per sua fortuna. » Le Journal inédit d'Arnauld d'Andilly, publié par M. Halphen, en 1857, mentionne le fait du mariage de mademoiselle de Maugiron; il en insinue, il n'ose en dire nettement la raison, 312, 21 juillet: « Maugiron, fille d'honneur de la reine, s'en va. Sa Majesté lui donne dix mille écus, à la charge de se marier en Dauphiné et par son commandement, et à condition aussi qu'elle ne pourroit jamais venir à la cour. Voyez sur Montpouillan notre article de juillet 1861, p. 441, et la note 2, où nous relevons ces exagérations des Mémoires de La Force.

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prit. Il pensa que Déageant, ayant trahi Barbin, le pouvait trahir aussi, et, alléguant les plaintes perpétuelles de tout le ministère et de sa famille pour masquer ses propres sentiments, il finit par renvoyer le trop habile ou trop peu sûr conseiller dans son pays, le Dauphiné, avec la charge éminente de premier président de la Cour des comptes de Grenoble, s'appliquant encore à retenir son amitié et ses services, alors même qu'il cédait à une défiance bien ou mal fondée 1. Après l'expédition de

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'Arnauld d'Andilly, qui avait connu Déageant chez Barbin, où il travaillait sous son oncle, l'intendant des finances Arnauld, dit dans ses Mémoires, édit. Petitot, t. I", p. 372 M. de Modène, parent de M. de Luynes, M. Déageant et M. Tronçon étoient ceux qui avoient été principalement informés du secret (de la conspiration); mais «nul autre, pour ce qui étoit de mettre la main à la plume, n'y avoit tant travaillé que « M. Déageant, et c'est ce qui fit sa fortune, et lui donna tant de part dans les affaires, qu'il fut non-seulement ministre sans en porter le nom, mais celui de tous qui agis« soit davantage. » Ibid. p. 389: « M. Déageant s'étoit vu en un si grand crédit, qu'il « sembloit n'avoir rien à craindre. Mais MM. de Chaulnes et de Luxembourg (frères « du duc de Luynes) étant mal satisfaits de lui, dans la créance qu'il n'entroit pas " assez dans leurs intérêts, et M. de Modène les fortifiant dans ce sentiment, ils pres« sèrent de telle sorte M. de Luynes de l'éloigner, qu'enfin ils le lui persuadèrent. Sa résolution étant prise, M. de Luxembourg me dit que M. de Luynes m'atten« doit dans la galerie pour me parler. J'y allai, et, étant seul avec lui, il me fit un dis« cours de plus d'une heure, dont la substance étoit que je savois qu'il n'avoit connu que par moi M. Déageant, qu'il n'ignoroit pas que, outre cette obligation qu'il « m'avoit d'avoir été ainsi cause de sa fortune, il m'avoit encore celle d'avoir fait, par affection pour lui, les dépêches importantes qui lui avoient acquis le plus de réputation, qu'il n'en avoit pas eu la reconnoissance qu'il devoit, n'ayant pensé qu'à son établissement, que je n'étois pas le seul qui avoit sujet d'être mécontent « de lui, puisqu'il avoit si mal vécu avec tous ses proches, que, ne pouvant résister « davantage aux plaintes qu'ils lui en fesoient, et pour avoir la paix dans sa famille, « il se trouvoit obligé de l'éloigner, qu'il me prioit de le lui dire..... Il paroît bien « que M. Déageant n'avoit guères songé, durant sa faveur, à se faire des amis, car je « ne crois pas que jamais homme se soit vu plus abandonné dans sa disgrâce, et je « ne me souviens point qu'excepté moi il se soit vu assisté de qui que ce fût. Son abattement fut extrême lorsque je lui portai cette nouvelle, et il se retira ensuite en Dauphiné, d'où il étoit originaire, pour y exercer la charge de premier prési«dent de la Cour des comptes de Grenoble, dont il avoit été pourvu durant sa fa« veur, et qu'il a gardée jusqu'à sa mort.» Déageant, dans ses Mémoires, attribue sa disgrâce, survenue en 1619, non-seulement aux frères et aux amis de Luynes, mais à la jalousie des anciens ministres, et surtout à celle de Luynes lui-même. Mémoires de M. Déageant envoyés à M. le cardinal de Richelieu, Grenoble, 1668, in-12, p. 134 : « Déageant, qui connoissoit l'esprit de M. de Luynes déjà frappé de jalousie à cause de la confiance que le roi avoit en lui, jugea d'abord de l'événement. Il le « lui dit, et lui protesta qu'il alloit penser tout de bon à sa retraite, comme il fit... « Trois mois après, M. de Luynes lui ayant dit que les anciens ministres d'État et tous les principaux de sa maison, de sa parenté et de son alliance, avoient conçu « une extrême jalousie contre lui, qu'ils le menaçoient de l'abandonner, s'il ne l'aban

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