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de plus en plus le dessus. Ces influences, dans l'extinction de toute haute littérature qu'amena l'inondation barbare, prévalurent pleinement; les langues romanes apparurent, le germanisme ne s'y montre que par un certain nombre de mots qu'elles reçurent, et que, sans l'invasion, elles n'auraient pas reçus; et l'Occident latin, demeurant latin, imposa son idiome aux envahisseurs. Ce qui vient d'être dit du langage doit être dit aussi des institutions. Les Scandinaves trouvèrent le régime féodal tout établi; ils l'adoptèrent sans plus se souvenir des institutions 3 qu'ils avaient laissées dans le Nord. Les barbares trouvèrent de leur côté, sous leur main, l'organisation impériale; mais c'était une organisation que des causes intérieures, indépendamment des causes extérieures, amenaient à sa ruine. En vain les rois germains essayèrent-ils de rassembler autour d'eux ce qui restait de la souveraineté impériale. Dans l'immense anarchie produite par la décadence de l'Empire et par l'invasion barbare, il n'y eut plus de place que pour la force des choses, représentée par la société latine, que de longs malheurs avaient amoindrie, non détruite; par la religion, qui imposait son joug à tous; par les cités, qui s'élevaient comme autant de centres d'industrie et de culture; par les institutions romaines et les coutumes germaniques. De tout cela, après la plus pénible des périodes, naquit le régime féodal, qui fut importé en Allemagne à la suite des victoires de Charlemagne, et en Angleterre par la conquête normande.

Je pense que rien n'est plus propre à donner une idée exacte de l'établissement des Germains dans l'Empire romain que l'étude de l'établissement des Scandinaves dans la Neustrie. Là on voit nettement que les barbares apportent peu et reçoivent beaucoup.

Le nom de Normandie a pu être justement donné à la province. puisqu'il indique la domination des hommes du Nord; mais le nom de normand, qui naturellement s'ensuivit pour le dialecte, est trompeur, car ce dialecte n'a rien du Nord et est purement neustrien.

Maintenant, quel est le rapport de l'ancien dialecte neustrien ou normand avec le patois aujourd'hui parlé en Normandie? C'est au xiv siècle que les dialectes, cessant d'être langues littéraires, descendent au rang de patois; dès lors l'histoire s'en obscurcit beaucoup; ils ne s'écrivent guère; on ne s'en occupe plus, et on les regarde, à tort, comme du français corrompu. Pourtant, malgré l'absence de documents intermédiaires entre l'époque ancienne où le normand était dialecte, et l'époque actuelle où il est patois, on ne peut méconnaître la filiation de l'un à l'autre. Le patois a conservé un signe caractéristique, je veux dire l'emploi de ei pour oi; il a conservé aussi un bon nombre de mots qui,

perdus dans le français moderne, existent dans le français ancien je noterai, entre autres, achaison, déjà discuté; cranche, faible, malade; éguerpir (une poule éguerpit la terre, elle la jette derrière elle avec ses pattes; le français a déguerpir, le vieux français avait le simple guerpir, de l'allemand werfen, jeter); namps, gages (la rue aux Namps, à Caen, qui est le quartier des fripiers). Mais on trouve aussi dans le patois bien des mots qui n'ont point d'analogue dans l'ancienne langue.

Au reste, pour discuter complétement les rapports du patois normand avec le dialecte normand, il faudrait, d'une part, avoir un dépouillement glossologique des chartes et autres papiers locaux; et, d'autre part, un bon dictionnaire du patois tel qu'il est actuellement. Le Dictionnaire de M. Du Méril et le Glossaire de MM. Du Bois et Travers, tout estimables et utiles qu'ils sont, laissent de la place pour un plus ample travail. On ne saurait trop recommander les dictionnaires des patois aux savants de province; et il semble qu'une telle tâche serait le lot naturel d'un homme qui, comme M. Le Héricher, est si versé dans la connaissance du parler, des monuments et des légendes de sa province, et, ce qui n'est pas un mince avantage en ce genre de travail, de la flore locale et des noms scientifiques correspondant aux dénominations populaires.

(La fin à un prochain cahier.)

É. LITTRÉ.

THE LIFE OF MAHOMET, with introductory chapters on the original sources for the biography of Mahomet, and on the pre-islamite history of Arabia, by William Muir, esq., Bengal civil service. London, 1861, in-8°. LA VIE DE MAHOMET, précédée d'une introduction sur les sources originales de sa biographie et sur l'histoire de l'Arabie antérieurement à l'Islám, par M. William Muir, esq., du service civil au Bengale. Londres, 4 vol. in-8°, avec des cartes et des tableaux.

Das Leben und die Lehre des MOHAMMAD, nach bisher grösstentheils unbenutzten Quellen, bearbeitet von A. Sprenger, erster Band, XVI-583; zweiter Band, 548. Berlin, 1861, 1862. LA VIE ET LA DOCTRINE DE MAHOMET, d'après des sources la plapart inédites, par M. A. Sprenger. Berlin, in-8°, les deux premiers volumes.

CINQUIÈME ARTICLE1.

J'ai dit que je croyais à la parfaite sincérité de Mahomet, et je ne vois rien, dans toute cette carrière que je viens de parcourir, qui puisse faire un instant soupçonner la bonne foi du Prophète. Comment serait-il possible qu'il ne se fût pas trahi un seul jour, si en effet il s'était menti à lui-même et aux autres en se donnant pour l'envoyé de Dieu? J'ai cherché à expliquer cette mission, qu'il ne tenait que de sa conscience et de l'idée qu'il se faisait du culte que l'homme doit à son créateur. Notez bien que c'est à quarante-cinq ans qu'il commença ses prédications. Jusque-là il ne s'était distingué de ses compatriotes que par les vertus les plus louables; et il est trop évident qu'en se faisant l'envoyé de Dieu, il ne voulait pas dire autre chose, si ce n'est que Dieu lui inspirait le dogme qu'il venait prêcher et révéler au monde. Peut-être même que, dans sa modestie, Mahomet n'allait pas tout à fait aussi loin; il croyait simplement qu'il venait rétablir l'ancien culte qu'Abraham avait

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Pour le premier article, voir le Journal des Savants, cahier d'avril, p. 205; pour le deuxième, le cahier de juillet, p. 401; pour le troisième, le cahier d'août, p. 503; pour le quatrième, le cahier de septembre, p. 571.

professé, et qu'il ne faisait que continuer les enseignements de Moïse, de David, de Jésus même et de tant d'autres prophètes suscités avant lui.

On peut voir clairement le sens réel qu'il faut attribuer à cette mission de Mahomet, en interrogeant, comme je l'ai déjà fait plus haut, les témoignages de ses ennemis et ceux de ses partisans. Voici, à cet égard, deux faits qui me semblent très-décisifs.

L'empereur Héraclius revenait de sa glorieuse expédition de Perse (628), et il se trouvait en Syrie quand il fut rejoint par l'envoyé de Mahomet, qui lui apportait la lettre où le prophète arabe le conviait à embrasser l'islamisme. Plus surpris qu'irrité, et ne voulant pas sans doute se créer des embarras inutiles, l'empereur de Byzance s'était montré bienveillant et avait fait une réponse gracieuse quoique insignifiante. Mais, pour savoir un peu plus précisément ce que pouvait être cette étrange communication, et l'état de l'Arabie, limitrophe de son empire, il fit venir auprès de lui quelques marchands arabes qui avaient conduit une caravane jusqu'à Gaza. Parmi eux se trouvait Abou-Sofyân, qui était encore à ce moment un des adversaires les plus acharnés de Mahomet, et qui ne devait se convertir que trois ans plus tard à l'islamisme. Héraclius lui fit poser quelques questions par son interprète, et voici le dialogue que la tradition a conservé: «A quelle famille appartient Maho« met? A une famille distinguée, répondit Abou-Sofyân. Y a-t-il jamais eu personne parmi vous qui ait tenu le langage qu'il tient? - Ja<«< mais. — Avant qu'il se donnât pour un prophète, passait-il pour un men<< teur? Non. Y a-t-il eu avant lui quelqu'un de sa famille qui fût «roi? — Non. — A quelle classe appartiennent ses sectateurs, à la haute <«< classe ou au vulgaire? - Au vulgaire. -Leur nombre diminue-t-il ou s'accroît-il?—Il s'accroît sans cesse.-Ses adhérents le renient-ils quel«quefois? Pas un ne l'a renié. Est-il fidèle à sa parole quand il << l'a donnée?—Nous sommes actuellement en paix avec lui; mais nous « ne savons pas comment il observera les traités. - Avez-vous déjà fait « la guerre avec lui? — Oui. Tantôt lui, Qui a été vainqueur? Quelles sont les doctrines qu'il recommande? - Il

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<< tantôt nous.

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<< nous ordonne d'abjurer les croyances de nos pères, de n'adorer qu'un

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« seul Dieu, de faire l'aumône, d'observer fidèlement notre parole, et de «<nous abstenir de plaisirs coupables1. »

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Voir M. Gustave Weil, Mohammed der Prophet, p. 201. Il pense que, si cette tradition n'est pas vraie, elle est du moins bien inventée. Il n'y a pas de motif pour la suspecter.

A côté de cet aveu d'un ennemi, il faut placer l'enthousiasme non moins démonstratif des partisans de Mahomet.

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Le Prophète était mort depuis trois ans, et Omar, successeur d'Aboubecr était en guerre avec le roi de Perse. Quatorze musulmans se donnèrent la tâche d'aller convertir Yezdidjerd, et d'empêcher par là le conflit qui se préparait1. Ce prince, qui n'avait pas encore éprouvé la force des armes musulmanes, reçut ces députés improvisés avec beaucoup de hauteur, et il leur fit sentir l'infériorité de l'Arabie osant entrer en lutte contre l'empire des Perses: « Ce que tu as dit de notre << pauvreté, de nos divisions, de notre barbarie, répondirent les députés, « était juste naguère. Nous étions si misérables, que l'on voyait parmi « nous des gens apaiser leur faim en dévorant des insectes et des ser«pents; d'autres faisaient mourir leurs filles, pour n'avoir pas à partager <«<leurs aliments avec elles. Plongés dans les ténèbres de la superstition « et de l'idolâtrie, sans lois et sans frein, toujours ennemis les uns des « autres, nous n'étions occupés qu'à nous piller et à nous détruire mu«tuellement. Voilà bien ce que nous avons été; mais nous sommes « maintenant un peuple nouveau. Dieu a suscité au milieu de nous un << homme, le plus distingué des Arabes par la noblesse de sa naissance, << par ses vertus, par son génie, et il l'a choisi pour être son envoyé et « son prophète. Par l'organe de cet homme, Dieu nous a dit: Je suis le «Dieu unique, éternel, créateur de l'univers. Ma bonté vous envoie un « guide pour vous diriger. La voie qu'il vous montre vous sauvera des peines que je réserve dans une autre vie à l'impie et au criminel, et « elle vous conduira près de moi dans le séjour de la félicité. La per<< suasion s'est insinuée peu à peu dans nos cœurs; nous avons cru à la « mission du Prophète; nous avons reconnu que ses paroles étaient les << paroles de Dieu, ses ordres, les ordres de Dieu, et que la religion qu'il <«<nous annonçait est la seule vraie religion. Il a éclairé nos esprits, il « a éteint nos haines, il nous a réunis en une société de frères sous des <«<lois dictées par la sagesse divine. Puis il nous a ordonné d'achever son << œuvre en étendant partout l'empire de l'islamisme, en traitant frater<< nellement les nations qui voudront se convertir, en imposant le tribut « à celles qui voudront conserver leur religion, en exterminant celles qui ne voudront ni embrasser l'islamisme, ni payer le tribut 2. »

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On sait que cette guerre, commencée en 636, se termina bientôt par la mort de Yezdidjerd, dont les armées avaient été vaincues dans trois ou quatre grandes batailles, et par la ruine de l'empire persan. Les musulmans y firent un immense butin. J'emprunte cette longue citation à l'ouvrage de M. Caussin de Perceval (t. III, p. 478), qui a poussé ses recherches jusqu'à la réunion de toutes les tribus

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