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Pendant qu'avec le roi Luynes s'occupait de ces utiles travaux, les vœux les plus ardents de son cœur s'accomplissaient à Paris : sa femme bien-aimée, qu'il y avait laissée grosse, accoucha de son premier enfant mâle, au Louvre, la nuit de Noël. La reine Anne ne l'avait pas quittée un seul moment pendant les douleurs de l'enfantement; elle avait veillé toute la nuit auprès d'elle. Les cloches des églises avaient bien vite célébré cet événement, et plusieurs courriers étaient allés en porter la nouvelle à Calais. Le roi la reçut le premier; sa satisfaction fut telle, qu'il donna quatre mille écus à celui qui la lui apportait; et il se chargea de l'annoncer lui-même à son ami. Il fit tirer tous les canons de la forteresse, et, comme Luynes demandait pourquoi tout ce bruit, Louis XIII courut à lui, l'embrassa tendrement, et lui dit : « Mon cousin, je viens « me réjouir avec vous de ce qu'il vous est né un fils. » On conçoit les transports de joie de l'heureux père. Les deux amis se hâtèrent de revenir à Paris. Le roi voulut tenir le nouveau-né sur les fonts de baptême et lui donner son nom. L'enfant reçut donc le nom du roi et ceux de son père il s'appela Louis-Charles d'Albert. C'est le second duc

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toire du règne de Louis XIII, p. 324: «Le roi fait un voyage en Picardie pour « donner ordre à la sûreté de la province... appelle à son service les gouverneurs de Montreuil, Boulogne, Ardres et Calais, y en substitue d'autres. » Une petite brochure du temps, Le voyage du roy à Calais, Paris, chez Silvestre Moreau, devant le Palais, 1621, avec permission, 7 pages : « Le voyage de Calais estoit nécessaire « au roy pour beaucoup de bonnes et puissantes considérations. Sa Majesté, qui de « longtemps avoit résolu de l'entreprendre, ne s'est souciée de la rigueur de l'hiver « pour partir el de la violence du froid, monstrant par là combien elle est indéfati"gable, et qu'elle méprise volontiers le travail et la peine pour le bien de ses peuples « et de son Estat. Elle partit de Paris le lundi 14 décembre à six heures du matin,

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« pendant le règne d'une extrême froideur, assistée de monseigneur le prince de Condé, de MM. les ducs de Montbazon, de Luynes, maréchal de Cadenet, et autres sei"gneurs, non en fort grand nombre, au milieu de ses deux compagnies de chevaulégers et cavalerie de gens d'armes. Le premier rendez-vous où S. M. s'arrêta fut à « la ville d'Amiens, où elle demeura quelque temps, et auquel lieu M. le duc de Guise « l'alla trouver avec messieurs ses frères le duc de Chevreuse et le cardinal de Lorraine, et plusieurs autres grands, qui estoient restés à Paris..... D'Amiens «S. M. s'en partit le 20 décembre, et s'en alla à Abbeville, où elle demeura fort «peu... d'Abbeville, où elle fut saluée par beaucoup de noblesse du pays, elle s'en « alla à Montreuil... Le 24 décembre, veille de Noë!, S. M. arriva à Boulogne sur «la Mer, où elle résolut de demeurer quelques jours. Là sadite Majesté fit son bon "jour et passa ses festes, ayant été ainsi longuement par les chemins tous rompus par l'aspreté fascheuse de la saison. Finalement le roi partit de Boulogne le lendemain des festes et alla coucher à Calais, où S. M. vit les ruines grandes et pé«rilleuses du havre, dont on lui avoit parlé il y avoit longtemps, projeta de les faire réparer, et se passa d'autres affaires en cette ville pour le fait du gouvernement et «la sûreté de la place.

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de Luynes, le continuateur de la noble famille, l'ami zélé de Port-Royal, le traducteur de Descartes, le père du vertueux duc de Chevreuse. L'ambassadeur de Venise, auquel nous empruntons ces détails, s'écrie avec raison : « Il semble en vérité que Luynes ait enchaîné la fortune1. »

Quelle carrière heureuse, en effet, quoique très-laborieuse et trèsagitée, il avait parcourue depuis le jour où lui et ses frères étaient entrés, avec bien d'autres jeunes gentilshommes, au service d'un roi encore enfant, sans autre bien qu'un ardent désir de se distinguer et d'avancer! Bientôt il avait trouvé le secret d'agréer particulièrement au jeune prince. Sa faveur naissante ayant blessé l'amour-propre et l'ambition du gouverneur, M. de Souvré, il avait manqué d'être éloigné, et c'en était fait à jamais de sa destinée; mais il avait réussi à détourner l'orage, et peu à peu il s'était si bien établi auprès de Louis XIII, qu'il n'était plus aisé de les séparer. Deviné et menacé par le maréchal d'Ancre et par la reine mère, il avait eu l'art de désarmer leurs soupçons à force d'adresse et de condescendance. Puis, Louis XIII, devenu majeur, s'indignant chaque jour davantage de voir un étranger régner à sa place, et se montrant résolu à toutes les extrémités pour être vraiment roi, tout à coup l'obscur favori jette le masque, et, saisissant à

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1 Ambassadeur vénitien, dépêche du 29 décembre: La notte di Natale fra l' allegrezza e lo strepito delle campane la moglie del signor duca di Louines ha partorito il primo figlivolo maschio. La regina regnante vegliò tutta quella notte, e stette sempre a canto alla duchessa. Sono corsi li corrieri a Calès a portar così « buona novella a S. M. e al duca di Louines, la quale per la conformità degli animi doverà restar proindivisa fra di loro. Si dice che il re vorrà dar il nome al fan«ciullo e che S. M. con la regina madre lo teneranno al fonte, a tanto grado è giunta la estimazione di questi signori, li quali tengono afferrata la fortuna per il grine. » Le même, dépêche du 3 janvier 1621 «L'avviso della nascità del figlivolo di Louines capitò a Calès mentre il re stava solo, e, per l'allegrezza che n' hebbe fece tirar subito tutti i pezzi di cannone del castello, commettendo espressamente ad "ogni uno che non si facesse motto al favorito, poichè egli medesimo volea esser il messo del buon annuncio. Per tanto, dopo haver tirato il cannone con gran meraviglia del medesimo Louines che non ne sapea la cagione, il re subito andò a trovarlo con faccia ridente, e tutto giubilo gli disse: Mon cousin, mi rallegro con voi della nascità del figlivolo, abbracciandolo carissimamente; al che plaudendo «Louines con altrettanta gioja disse poi a S. M. : Sire, e per questo si fa tanto strepito? Si, si, risposi il re, e voglio che se ne facci d'avantaggio; come pure è seguito, dicesi, per tutta la provincia di Picardia, oltre lo haver donati S. M. quattro mila scudi a chi gli porto la novella. La regina madre e moglie furono a visitar madama di Louines il giorno dietro il parto, trattenendosi buon spatio di tempo seco, e rallegrandosi del figlivolo nato al favorito con grandissima famigliarità e confidenza, come tuttavia continuano, e la regina regnante specialmente, aa vederla con molta dimestichezza. »

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propos une occasion si favorable, qu'il semble l'avoir préparée, se met à la tête d'une conspiration militaire, frappe le maréchal d'Ancre, écarte Marie de Médicis, et s'empare des rênes des affaires. Celui qui avait commencé par amuser son jeune maître en lui dressant des pies-grièches était devenu premier ministre, et il apportait avec lui un gouvernement nouveau. Il avait rappelé les ministres de Henri IV, et repris avec eux au dedans et au dehors les desseins et la politique du grand roi. Associant habilement sa fortune à celle de la royauté, il était monté et il avait grandi avec elle. Toutes les dignités et toutes les richesses qu'il avait successivement accumulées, il les avait gagnées par d'incontestables services. En trois ou quatre années, il avait rétabli, en Europe, la haute influence de la France. Il avait contenu l'Espagne, défendu l'Italie, sauvé le Piémont de sa propre ambition et de celle de son puissant voisin, et hautement annoncé l'intention de ne pas l'abandonner, en mariant une des sœurs du roi, la belle Christine, avec le prince Victor-Amédée. Il avait aussi renouvelé l'alliance anglaise sans aucun sacrifice de l'honneur et de l'intérêt national. Il avait offert à Jacques I la main de l'aimable Henriette pour le prince de Galles, et, par d'adroites négociations et une fermeté soutenue, il était parvenu à obtenir de l'Angleterre qu'elle ne se mêlât point des affaires intérieures de la France. C'est au dedans qu'il avait rencontré les plus grandes difficultés, et il les avait heureusement et presque glorieusement surmontées. Il avait forcé les grands, sans cesse révoltés, à poser les armes et à s'incliner devant le trône, et, ce qui est encore plus considérable, il avait attaché son nom au premier sérieux effort tenté pour réduire les protestants à l'état des autres Français, et leur imposer l'égalité civile et religieuse. Et il avait fait tout cela sans prodiguer les exils et sans dresser des échafauds. Grâce à lui, la famille royale était réconciliée. Le fils, la mère, le frère, qui plus tard se sépareront avec éclat, et dont les discordes coûteront tant de sang à la France, vivaient parfaitement ensemble. Anne d'Autriche était aimée de son mari, et le jeune et royal ménage était tendrement uni. Enfin la faveur, disons-mieux, l'amitié du roi pour Luynes, était dans toute sa force et n'avait pas souffert, depuis bien des années, la plus légère altération : Louis semblait n'avoir qu'un esprit et qu'un cœur avec son ministre. Luynes avait fondé une grande famille; il avait une fille et un fils; ses frères étaient riches et puissants; l'avenir de sa maison était assuré. Si donc il était mort à la fin de cette année 1620, il serait mort au faîte de la prospérité, rare modèle d'un bonheur constant à travers tant d'orageuses et souvent tragiques aventures. Cette constance du succès, dont le prestige est presque

aussi puissant sur la postérité que sur les contemporains, lui eût été une auréole dans l'histoire; il eût laissé la mémoire d'un premier ministre qui, sans posséder dans l'esprit et dans le caractère ces attributs de grandeur qui commandent le respect et l'admiration des hommes, a fait pourtant d'assez grandes choses, et mérite une juste place entre Henri IV et Richelieu, incomparablement inférieur à l'un et à l'autre, mais leur ayant servi d'utile intermédiaire, et formant un des anneaux de la noble chaîne des serviteurs de la patrie et des fondateurs de la France nouvelle. Mais la Providence en avait disposé autrement; elle réservait Luynes à des épreuves où son étoile devait pâlir et son bonheur succomber.

Depuis le retour de Louis XIII des Pyrénées, les plus graves nouvelles s'étaient succédé sans relâche. La victoire de Prague, remportée le 8 novembre par l'empereur Ferdinand II sur le nouveau roi de Bohême, Frédéric, électeur palatin du Rhin, rompait en Allemagne l'équilibre que le traité d'Ulm avait tâché d'établir, et rendait à l'Autriche une prépondérance redoutable. L'Espagne, depuis longtemps maîtresse du Milanais, était entrée dans la Valteline: sous le prétexte d'y porter secours aux catholiques opprimés, elle s'était emparée des défilés, y élevait des forteresses, et s'ouvrait ainsi la communication qu'elle ambitionnait entre ses possessions d'Italie et les possessions de la maison d'Autriche en Allemagne. Venise et le Piémont jetaient des cris d'alarme et invoquaient la France. D'autre part, à l'intérieur, les protestants du Béarn, le roi à peine parti, avaient renoué leurs trames, levé l'étendard de la révolte et tenté de surprendre Navarreins. Au mépris de toutes les lois, Montauban venait de chasser de ses murs la population catholique, qui errait dispersée. L'assemblée de Loudun, sur la prétention mensongère que les conditions auxquelles elle s'était dissoute n'avaient pas été observées, tandis qu'elles l'avaient été, comme nous l'avons établi, avec le dernier scrupule, s'était réunie d'elle-même, et sans demander la permission du roi, à la Rochelle, et là, bravant les ordres réitérés qu'elle avait reçus de se séparer, et malgré les conseils de ses chefs les plus respectés, elle persistait dans sa rébellion et appelait aux armes tous les protestants du royaume. Enfin le parlement de Paris, auquel il avait bien fallu proposer diverses mesures financières pour faire face à tous ces périls, renouvelait son jeu accoutumé de faire de l'opposition quand il voyait le gouvernement embarrassé, et tâchait de ressaisir le rôle politique qui lui convenait si peu, que Henri IV lui avait ôté et interdit, et qu'il avait essayé de reprendre dans les désordres de la régence et l'affaiblissement de l'autorité royale. Ainsi s'ouvrait l'année 1621. Luynes

y déploiera d'abord une fermeté et une habileté peu communes. Il fera rentrer le parlement dans ses justes limites et dans sa fonction propre, l'intègre et indépendante administration de la justice. Il se portera ouvertement le défenseur de la liberté italienne, et avertira l'Espagne que, si elle ne sort de la Valteline, une armée française franchira les Alpes et marchera sur Milan. Il saura, en resserrant étroitement l'alliance anglaise, persuader à Jacques I de ne pas venir en aide à des sujets révoltés contre leur roi, qui tiraient l'épée, non pas pour défendre leur religion, que nul ne songeait à attaquer, mais pour fonder au sein de la France une république calviniste, comme celle des Provinces - Unies, ayant à sa tête, au lieu des Nassau, les Rohan, les Sully et les Bouillon. Il aura le bon sens de ne pas poursuivre plusieurs grands desseins à la fois, et de porter toutes ses pensées, tous ses efforts, sur une seule entreprise, décisive pour l'avenir de la royauté et de la France, la soumission politique et militaire des protestants. Mais, dans cette grande entreprise, la plus juste, la plus légitime qui fut jamais, Luynes échouera par deux fautes qui étonnent dans un esprit naturellement modéré, inais qu'à la fin l'ambition et l'habitude du succès semblent avoir un peu égaré. La première de ces fautes, que tout le monde lui a reprochée, est d'avoir changé le rôle qui lui appartenait, d'homme d'État et de premier ministre, pour celui de général et de connétable, dont il était incapable, lorsque tant de motifs lui désignaient Lesdiguières. La seconde faute, qui dérive de la première, est plus grave encore : Luynes s'est trompé sur le coup qu'il fallait frapper. Il a été chercher au loin ces protestants du Midi, énergiques et guerriers, qu'enivrait un fanatisme féroce, et que conduisaient les premiers officiers du parti, au lieu de se borner, pour le moment, à attaquer la Rochelle, la capitale de l'insurrection, bien plus rapprochée de Paris, moins ardente, moins belliqueuse, moins bien commandée, qu'il était aisé de séparer absolument du Midi et de tout secours de terre par la Guyenne et la Saintonge, où dominaient Mayenne et d'Épernon, et que, cette fois, du côté de la mer, les flottes de l'Angleterre ne devaient pas protéger. Mais hâtons nous de dire que, du moins, Luynes a racheté et honoré ses fautes en les payant de son sang, et que l'exemple de cette terrible campagne de 1621, mêlée de brillants succès et de revers déplorables, enseignait à Richelieu ce qu'il devait éviter et ce qu'il devait faire, et lui dictait en quelque sorte toute sa conduite de 1628 et de 1629.

Voilà ce qu'ici peut-être nous entreprendrons plus tard de raconter, si les lecteurs du Journal des Savants nous soutiennent de leur indulgence, et si, pour cette dernière année de la vie de Luynes, nous parve

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