ภาพหน้าหนังสือ
PDF
ePub

Rome n'était pas prise, et le pape nouveau, rendu libre par sa fuite et devenu hardi en cessant de craindre, devait lui intenter la plus redoutable accusation et le poursuivre de son implacable inimitié dans une guerre acharnée.

Imitateur de Grégoire VII et d'Innocent III, qui, en 1076 et en 1216, avaient déposé les empereurs Henri IV et Othon IV dans les conciles de Rome, Innocent IV était résolu à déposer l'empereur Frédéric II dans le concile de Lyon. Ce concile avait été convoqué moins pour procéder à un jugement que pour entendre une condamnation. L'Église assemblée n'avait aucune juridiction temporelle sur l'empire et son chef; mais le pape s'attribuait cette juridiction depuis la théorie de souveraineté universelle si hardiment établie en faveur du pontificat par Grégoire VII et si fréquemment appliquée par Innocent III. La puissance des clefs conférant au successeur de l'apôtre le privilége suprême de lier et de délier, le pape en avait tiré l'exorbitante conséquence qu'il avait le droit de déposer les princes, et de soustraire les peuples à leur obéissance en les dégageant de leur fidélité. A ce pouvoir général, que le souverain pontife s'arrogeait sur les princes, il ajoutait un pouvoir spécial dont il se considérait comme investi à l'égard des empereurs.

La création du Saint-Empire romain par la papauté et le couronnement des empereurs par les papes mettaient plus particulièrement l'empire dans la dépendance du Saint-Siége et les empereurs à la discrétion des papes. Un droit aussi énorme et aussi dangereux était non-seulement exercé, mais reconnu. Au xIII° siècle, il était même admis par les empereurs. Othon IV l'avait accepté, en en profitant, lorsqu'il avait reçu d'Innocent III l'empire aux dépens de Philippe de Souabe, et Frédéric II s'y était soumis avec empressement lorsqu'il avait acquis, à l'aide du même pape, l'empire aux dépens d'Othon. Trois fois Frédéric avait juré solennellement d'observer les conditions auxquelles s'était obtenue son élévation, accompli son couronnement, et, arrivé au trône impérial, il avait manqué à tous les engagements qu'il avait pris pour y monter.

Placé hors des atteintes de Frédéric, Innocent IV avait fait contre lui appel à l'Église universelle. Il aurait d'abord voulu en assembler les représentants dans le royaume de France; mais Louis IX, de l'avis de ses grands barons, s'y était refusé, en promettant toutefois au pape de le défendre ailleurs, s'il était attaqué. Innocent IV s'était alors décidé à réunir le concile dans la ville de Lyon, située vers le haut du royaume d'Arles, depuis longtemps soustrait à la dépendance de l'empereur, resté

son souverain fictif. Cette ville, tombée sous l'autorité de son archevêque, qui en était le souverain réel, confinait au royaume de France. C'est là qu'arrivèrent, au commencement de juin, les patriarches d'Antioche, de Constantinople, d'Aquilée; cent quarante métropolitains ou évêques, la plupart venus de France, d'Angleterre et d'Espagne; beaucoup de prélats d'un ordre moindre, les délégués de nombreux chapitres, l'empereur Baudouin, les ambassadeurs des rois de France et d'Angleterre. Il y avait très-peu d'évêques des deux pays qui étaient ou allaient être le théâtre de la lutte entre la papauté et l'empire, de l'Allemagne où Frédéric était encore universellement obéi, de l'Italie où il était extrêmement redouté. De ce dernier pays, qu'il dominait par les armes et par la crainte, il n'était arrivé que quelques évêques, en général expulsés de leurs siéges à cause de leur attachement au souverain pontife et de leur hostilité envers l'empereur.

Le concile s'ouvrit le 26 juin dans l'abbaye de Saint-Just, et les sessions suivantes s'en tinrent, avec une grande solennité, dans la cathédrale de Saint-Jean. Frédéric y avait envoyé des délégués, ou, pour mieux dire, des défenseurs de sa cause. A la suite d'une diète qu'il avait tenue à Vérone, et dans laquelle il avait appelé les princes d'Allemagne, les nobles d'Italie et les recteurs des villes gibelines, il avait pris des précautions encore plus que des mesures contre les actes faciles à prévoir et difficiles à conjurer du pape Innocent IV. Il avait fait partir pour Lyon le courageux Thaddée de Sessa, juge du palais impérial; le pieux Gauthier d'Ocra, son chapelain, et des légistes habiles, chargés de traiter avec Innocent IV. S'ils ne parvenaient pas à obtenir un accord du pape, ils devaient repousser ses accusations devant le concile, et, si le pape et le concile ne voulaient ni consentir à la paix, ni admettre sa justification, ils devaient en appeler, en son nom, à Dieu, au pape futur, à un concile plus général, aux rois et aux princes de la chrétienté. Frédéric se rendit lui-même à Turin pour être plus près de Lyon, dont il n'était séparé que par la chaîne des Alpes. Il affaiblissait sa position en consentant à se défendre devant une assemblée de ses ennemis qu'il n'avait aucune chance de convaincre, en proposant un accord au pontife intraitable qu'il n'avait aucune espérance de ramener. Ses empiétements connus sur l'Église rendaient ses justifications impossibles devant le concile, et sa duplicité passée envers le Saint-Siége rendait tout arrangement futur improbable avec le pape. Le parti d'Innocent IV était irrévocablement pris au moment même où il ouvrait le concile, il écrivait à l'archevêque de Mayence comme si Frédéric était déjà déposé, en l'invitant « à faire prêcher en Allemagne une croisade contre

« Frédéric, un autre, disait-il, devant être désigné roi des Romains et «< promu, avec l'aide de Dieu, empereur 1. »

Dans la première session, qui eut lieu le 28 juin, Innocent IV prononça un long discours bien propre à émouvoir le concile. Après avoir parlé des grandes douleurs que lui faisaient éprouver comme souverain pontife les calamités auxquelles la chrétienté était exposée par les dévastations des Tartares en Europe, les conquêtes des Karismiens en Palestine, le schisme de l'Église grecque en Orient, le progrès des hérésies cathares en Occident, il en vint à Frédéric, qui lui causait l'affliction la plus vive en répandant sur l'Église les maux les plus extrêmes. Il dit qu'au lieu d'en être le protecteur, il s'en était rendu l'oppresseur. Il énuméra ses attaques contre le Saint-Siége, ses persécutions envers le clergé, attaqua ses mœurs comme dissolues, et lui attribua les hérésies les plus dangereuses 2.

Thaddée de Sessa répondit de son mieux aux accusations dirigées par Innocent IV contre Frédéric II. Il proposa, de sa part, le rétablissement de l'ancienne amitié avec le Saint-Siége, en assurant que l'empereur son maître ferait rentrer dans le sein de l'Église latine l'empire de Grèce, en offrant, en son nom, de s'opposer aux Tartares, de combattre les Karismiens, de reprendre la Terre sainte, enfin, de restituer à l'Église romaine tout ce qui lui avait été enlevé et de lui donner satisfaction sur tous les points où elle se trouvait lésée. — «Voilà de << belles paroles, dit le pape, et de grandes promesses; elles ont été <«<souvent faites et nulle part elles n'ont été accomplies; jamais elles ne <«<le seront. On veut, au moyen d'un délai, détourner le coup de la «hache déjà placée à la racine; on veut se jouer du concile et traîner « en longueur jusqu'à ce qu'il soit levé3... Si j'accordais ce qu'il de«mande et qu'il se rétractât, ce dont je ne doute point, qui se porte<«<rait sa caution aujourd'hui et le forcerait alors à tenir ses engage«ments?»>«<Les deux rois de France et d'Angleterre,» répondit Thaddée de Sessa. - «Nous ne le voulons pas, répliqua le pape; car, « s'il se refusait à exécuter les conventions sur quelques points, ou s'il «<les violait tout à fait comme le rendent certain ses fréquents manques « de foi, nous serions obligés de sévir contre les deux rois. L'Église au

a

« Ut crucem sumat, eamque prædicat contra Fridericum... præsertim quum jam alius sit in Romanorum regem assumptus, in imperatorem auctore Domino pro« movendus. Datum Lugduni v kal. julii, anno III.» (Regest. Innoc. IV, lib. III, n° 28, fol. 306.) — Labbe, Concil. « O quam multa et quam magna sunt promissa! nunquam vel nusquam tamen adimpleta vel adimplenda. Sed et hæc, «nunc constat, sunt promissa ut securis, jam ad radicem posita, illuso concilio et

2

3

<«<rait alors pour ennemis trois princes qui, en puissance séculière, n'ont « pas leurs supérieurs ni même leurs égaux1.

[ocr errors]

Le 5 juillet, jour de la seconde session, Innocent IV renouvela ses accusation scontre Frédéric II, qu'il voulait condamner tout de suite et déposer sans retard. Cette condamnation était réclamée avec emportement par des évêques du royaume de Sicile, que Frédéric avait dépossédés de leurs églises et persécutés à cause de leur attachement au SaintSiége, et par des évêques espagnols qui, soutenant dans leur pays une guerre de religion contre les musulmans, voyaient avec indignation que Frédéric les employât comme ses soldats en Italie, et les traitât comme ses alliés en Orient. Thaddée de Sessa défendit encore l'empereur son maître, et il demanda un délai, afin que Frédéric pût se rendre luimême au concile, ou y envoyer des délégués nouveaux, avec des pouvoirs précis et étendus. Ses instances étant appuyées par les représentants des rois de France et d'Angleterre, le pape fut obligé de céder, et il accorda douze jours, jusqu'au 17 juillet.

"

((

Gauthier d'Ocra se rendit en toute hâte à Turin. En apprenant ce qui s'était passé au concile, et le délai qui avait été obtenu avec peine de l'impatiente animosité d'Innocent IV, Frédéric dit : « Le pape aspire « à ma confusion. Il brûle de se venger de moi, parce que j'ai fait prendre <«< sur mer les pirates génois, ses parents, anciens et publics ennemis de « l'empire, ainsi que les prélats dont ils étaient les conducteurs et les << soutiens. Il n'a convoqué le concile que pour ma ruine. Il ne convient « pas à la majesté de l'empire que je comparaisse devant une pareille as« semblée, composée surtout de mes ennemis 2. » Ce refus de comparution devant le concile ne fut pas suivi d'un rejet de sa compétence. Frédéric se décida à y envoyer, pour le représenter et le défendre, l'évêque de Frisingen, le grand maître des chevaliers Teutoniques, et le juge de la grande cour des Deux-Siciles, Pierre de la Vigne. Ce n'était pas assez de la part d'un accusé, c'était trop de la part d'un empereur. Il fallait ou se présenter avec hardiesse devant le concile ou en contester les pouvoirs avec fermeté. S'il était allé à Lyon avec suffisamment de forces pour ne pas s'exposer à être pris, Innocent IV aurait fui, et la présence armée de Frédéric eût dispersé le concile de Lyon, comme flotte victorieuse avait empêché le concile de Rome. S'il n'avait pas

་་

sa

« soluto, per dilationem avertatur.» (Matth. Paris. Hist. angl. in fol. Parisiis, 1644, p. 448.) Nolumus, quia, si pacta commutasset vel penitus infirmasset, nec aliud credimus propter frequentiam, aliquo tempore in posterum oporteret nos animad« vertere in eosdem : et tunc haberet Ecclesia tres, quibus non sunt in sæculari po« tentia majores, imo nec pares inimicos. » (Ibid.) — Ibid. fol. 449, col. 2.

[ocr errors]

admis le droit qu'une assemblée religieuse s'arrogeait de le juger, en adhérant à la condamnation d'un empereur par un pape, il aurait inspiré aux autres, en faveur de sa cause, la confiance qu'il n'aurait pas cessé de montrer lui-même, et il se serait ménagé les moyens de se défendre bientôt avec plus de vigueur et peut-être plus de succès.

Les nouveaux délégués de Frédéric ne parurent même pas devant le concile, et l'empereur ne retira aucun bénéfice de sa demi-condescendance. L'évêque de Frisingen, le grand maître des chevaliers Teutoniques et le juge de la grande cour des Deux-Siciles, n'arrivèrent pas Lyon avant l'expiration du délai accordé. Innocent IV ne voulut pas les attendre. Avec l'inflexibilité de résolution qu'il porta dans toute cette affaire, depuis la mise en accusation de Frédéric jusqu'à sa mort, il tint, au jour fixé, le 17 du mois de juillet, la troisième session du concile. Il allait y prononcer la sentence arrêtée d'avance contre Frédéric, lorsque le patriarche d'Aquilée, voulant faire au pape quelques représentations indirectes, se hasarda à lui dire « que deux colonnes soute<«<naient le monde, à savoir, l'Église et l'Empire. » Innocent IV, ne le laissant pas continuer, lui dit «de se taire, sinon qu'il lui ôterait son <«< anneau pastoral'1. » Thaddée de Sessa, voyant alors qu'il n'y avait plus aucune espérance à concevoir, déclara que les évêques étaient réunis en trop petit nombre pour représenter l'Eglise universelle et il en appela à un futur pape et à un concile plus général2. Le pape refusa l'appel. Ne souffrant plus aucune observation, sans prendre les avis, il prononça un discours ardent et étudié, prélude véhément de l'arrêt qu'il avait poursuivi comme partie, préparé comme accusateur, et qu'il allait porter comme juge.

Il dit que, pontife suprême, élevé au faite de la dignité apostolique, et juge vigilant de la chrétienté, il était chargé d'élever les justes selon l'étendue de leurs mérites, et d'abaisser les criminels selon la grandeur de leurs fautes 3. Il retraça la longue querelle de Frédéric avec l'Église romaine; il rappela les promesses feintes et les frauduleuses négociations de ce prince astucieux et violent, perfide et persécuteur; il revint sur ses usurpations audacieuses, ses nombreux attentats, ses serments autant de fois violés que prêtés, ses méfaits les plus hardis, suivis de

[ocr errors]

Similiter patriarcha Aquilegiensis dixit domino papæ quod duæ columpnæ « erant quæ mundum sustinebant, scilicet Ecclesia una et Imperium alia. Unde do« minus papa dixit patriarchæ ut taceret, alioquin auferret ei annulum. » (Chron. de rebus in Italia gestis, p. 197.)- «Appellavit pro eo ad concilium proximo futu rum generalius.» (Matth. Paris. f. 450, c.1.) Labbe, Concil. t. XI, p. 640. Matth. Paris. f. 451.

2

« ก่อนหน้าดำเนินการต่อ
 »