SCÈNE X. BÉLINE, ARGAN. BÉLINE. Je viens, mon fils, avant que de sortir, vous donner avis d'une chose à laquelle il faut que vous preniez garde. En passant par-devant la chambre d'Angélique, j'ai vu un jeune homme avec elle, qui s'est sauvé d'abord qu'il m'a vue. ARGAN. Un jeune homme avec ma fille? BÉLINE. Oui. Votre petite fille Louison étoit avec eux, qui pourra vous en dire des nouvelles. ARGAN. Envoyez-la ici, m'amour, envoyez-la ici. Ah! l'effrontée! (seul.) Je ne m'étonne plus de sa résistance. SCÈNE XI. ARGAN, LOUISON. LOUISON. QU'EST-CE que vous me voulez, mon papa? Ma bellemaman m'a dit que vous me demandez. ARGAN. Oui, venez çà; avancez là. Tournez-vous. Leyez les yeux. Regardez-moi. Hé? Je vous dirai, si vous voulez, pour vous désennuyer, le conte de Peau-d'âne, ou bien la fable du corbeau et du renard, qu'on m'a apprise depuis peu. Ah! rusée, vous savez bien ce que je veux dire? Ne vous ai-je pas recommandé de me venir dire d'abord tout ce que vous voyez ! Oui, mon papa. Je vous suis venue dire tout ce que Oh çà! je m'en vais vous faire voir quelque chose, moi. LOUISON, voyant une poignée de verges qu'Argan a été prendre. Ah! mon papa! ARGAN. Ah! ah! petite masque, vous ne me dites pas que vous avez vu un homme dans la chambre de votre sœur! LOUISON, pleurant. Mon papa! ARGAN, prenant Louison par le bras. Voici qui vous apprendra à mentir. LOUISON, se jetant à genoux. Ah! mon papa, je vous demande pardon. C'est que ma sœur m'avoit dit de ne pas vous le dire : mais je m'en vais vous dire tout. ARGAN. Il faut premièrement que vous ayez le fouet pour avoir menti. Puis après nous verrons au reste. Au nom de Dieu, mon papa, que je ne l'aie pas ! ARGAN, voulant la fouetter. Allons, allons. LOUISON. Ah! mon papa, vous m'avez blessée. Attendez, je suis morte. (Elle contrefait la morte.) ARGAN. Hola! qu'est-ce là? Louison, Louison. Ah! mon Dieu! Louison! Ah! ma fille! Ah! malheureux! ma pauvre fille est morte! Qu'ai-je fait, misérable? Ah! chiennes de verges! La peste soit des verges! Ah! ma pauvre fille! ma pauvre petite Louison! LOUISON. Là, là, mon papa, ne pleurez point tant: je ne suis pas morte tout-à-fait. ARGAN. Voyez-vous la petite rusée ! Oh çà, çà, je vous pardonne pour cette fois-ci, pourvu que vous me disiez bien Prenez-y bien garde au moins car voilà un petit doigt, qui sait tout, qui me dira si vous mentez. LOUISON, après avoir regardé si personne n'écoute. C'est, mon papa, qu'il est venu un homme dans la chambre de ma sœur comme j'y étois. Hé bien? ARGAN MOLIÈRE. 6. 24 |