DE N. S. JESUS-CHRIST. 5 et il n'était pas impossible, même avant l'accomplissement, de voir où elle tendait, et que le règne du Christ ne devait être ni si prochain qu'ils l'espéraient ni tel qu'ils se le figuraient. Mais ceux qui ne le comprirent pas alors virent au moins après coup qu'il ne leur était rien arrivé que le Sauveur ne leur eût prédit; et ce qui ne les éclaira pas d'abord servit depuis à les affermir dans la foi; car aucune parole de JésusChrist n'a été inutile, et cette semence divine n'a jamais manqué de produire son fruit tôt ou tard. « Lors donc qu'ils écoutaient les paroles » de Jésus » que nous venons de rapporter, «< il ajouta une parabole sur ce qu'il était près de Jérusalem, et qu'ils se per» suadaient que le royaume de Dieu 5 pa » raîtrait bientôt; il dit donc : Un seigneur allant dans un pays éloigné pour pren» dre possession d'un royaume et s'en re» venir après, appela dix de ses serviteurs, leur partagea dix marcs d'argent * et leur » dit: Faites-les valoir jusqu'à ce que je revienne. Mais, comme ceux de son » pays le haïssaient, ils envoyèrent des » députés après lui, pour dire : Nous ne » voulons point de cet homme-là pour »> notre roi ". Cependant, après avoir pris 11. Hæc illis audientibus adjiciens dixit parabolam, eo quod esset prope Jerusalem, et quia existimarent quod confestim regnum Dei manifes taretur. 12. Dixit ergo: Homo quidam nobilis aginquam accipere sibi biit in regionem lon regnum, et reverti. 13. Vocatis autem decem servis suis, dedit eis decem mnas, et ait ad illos: Negotiamini dum venio. 5 A l'exemple de tous les traducteurs, on a employé le terme de marc au lieu de celui de mines, qui n'est point en usage dans notre langue pour dire ce qu'on lui fait signifier ici. La mine judaïque pouvait valoir à peu près quatre marcs. 6 Il paraît par cette façon de paricr que ce n'était pas à lui que la députation était envoyée; car si c'eût été à lui, les députés auraient été chargés de dire : Nous ne voulons pas de vous pour notre roi, et non : Nous ne voulons pas de cet homme-là pour notre roi. A qui s'adressait donc l'ambassade? Au prince, des mains de qui celui-ci allait recevoir la couronne; car le pays dont il s'agissait pour lui d'être roi était celui d'où il était parti. En un mot, ce n'était pas une conquête éloignée qu'il allait faire, c'était la royauté de son pays qu'il allait demander. Avec cette explication on entend tout l'historique de la parabole; et quisque negotiatus esset. 16. Venit autem primus dicens: Domine, mna tua decem mnas acquisivit. 17. Et ait illi: Euge, bone serve, quia in modico fuisti habens super decem civitates. 18. Et alter venit diDomine, mna cens D possession du royaume, il revint, et fit appeler ses serviteurs auxquels il avait » donné son argent, pour savoir combien chacun l'avait fait valoir. Le premier qui vint, dit: Seigneur, votre marc en » ע fidelis, eris potestatem a produit dix autres. Il lui répondit : Voilà qui va bien, bon serviteur. Parce » que vous avez été fidèle dans peu de » choses vous aurez le commandement de » dix villes. Le second qui vint, dit: Sei» gneur, votre marc en a produit cinq » autres. Pour vous, lui répondit-il, que tua fecit quinque mnas. 19. Et huic ait: Et tu esto super quinque civitates. 20. Et alter venit dicens: Domine, ecce D cinq villes vous soient soumises. Il en vint un autre qui dit : Seigneur, voilà » votre argent que j'ai gardé dans un mou>> choir'; car je vous craignais, parce que » vous êtes un homme sévère. Vous reti mna tua, quam habui» » rez ce que vous n'avez point avancé 2, sans cette explication on n'y entend plus rien. Or, cette idée, sous laquelle Jésus-Christ la propose, était très-familière aux Juifs. Leurs princes allaient à Rome demander l'investiture des Etats dont ils devaient être les rois. Le grand Hérode y avait été ; après lui, Archélaüs et d'autres princes de sa race y allèrent pour la même raison. Que l'on suppose à présent que l'un d'eux y étant allé dans ce dessein, une partie de la nation envoie une députation à l'empereur pour déclarer qu'ils ne veulent pas de lui; que, malgré cette déclaration, le prétendant l'emporte, qu'il revient, et qu'il se venge de ceux qui s'étaient opposés à ses prétentions: alors on n'aura plus de peine à entendre le sens littéral de la parabole. On doit remarquer encore que celui qui revient avec la qualité de roi n'est point appelé roi lorsqu'il part, mais seulement un seigneur, un homme de qualité, homo nobilis. : 'Il est vrai que, pour faire valoir cet argent, il fallait l'exposer à quelque risque. Cependant ce risque n'était pas une question valable de le laisser oisif. Donc, à parler en général, on est obligé de faire valoir le talent que Dieu nous confie pour l'utilité publique, quoiqu'il s'y rencontre toujours quelque danger. Si le contraire était suivi, il n'y aurait plus ni prédicateurs, ni confesseurs, ni pasteurs: excepté pourtant les cas où l'on verrait un danger prochain de se perdre soi-même. Alors il faudrait préférer sa propre sûreté au salut du monde entier, et ce serait le lieu d'appliquer cette maxime du Sauveur : Que sert à l'homme de gagner même à Dieu tout l'univers, s'il vient à perdre son âme? 2 On ne voit pas que le maître ait rien redemandé à ceux à qui il n'avait rien » et vous moissonnez ce que vous n'avez point semé. Méchant serviteur, lui dit» il, je vous juge sur vos propres paroles; » vous dites que je suis un homme sévère qui retire ce que je n'ai point avancé, » et qui moissonne ce que je n'ai point » semé. D'où vient que vous n'avez pas mis mon argent à la banque3, afin » qu'à mon retour je le tirasse avec l'in» térêt? Et il dit à ceux qui étaient pré» sents : Otez-lui le marc qu'il a, et don»> nez-le à celui qui a dix marcs. Ils lui » dirent : Seigneur, il en a dix *. Et moi 22. Dicit ei: De ore tuo te judico, serve nequam sciebas quod ego homo austerus sum, tollens quod non posui, et metens quod non seminavi : 23. Et quare non dedisti pe cuniam meam ad mensam, ut ego veniens cum usuris utique exegissem illum? 24. Et astantibus dixit Auferte ab illo mnam, et date illi qui decem mnas habet. 25. Et dixerunt ei : Domine, habet decem mnas. confié. On a vu avec quelle magnificence plus que royale il a récompensé le travail et l'industrie de ceux qui ont fait valoir ce qu'il leur avait confié. Il n'était donc pas tel que le mauvais serviteur ose le représenter à lui-même, et celui-ci le calomnie pour se justifier. Il en est de même des mauvais chrétiens, qui refusent de rendre à Dieu ce qu'ils lui doivent, parce que Dieu, disent-ils, exige plus qu'on ne peut lui rendre. S'ils disent vrai, Dieu est un tyran ; mais s'ils disent faux, ce sont des impies qui ajoutent à la prévarication le blasphème. Mais à quoi ils ne pensent pas, et ce qu'ils doivent remarquer ici, c'est que cette criminelle apologie ne sert qu'à les rendre plus inexcusables. Car si Dieu est, selon eux, si sévère, qu'il exige de nous plus que nous ne pouvons, pourquoi n'ont-ils pas fait au moins ce qu'ils pouvaient ? Si, ce qui fait horreur à penser, il punira ceux qui ne font pas l'impossible, comment traitera-t-il ceux qui auront omis le possible? Ceci regarde ceux qui ne font rien par la prétendue impossibilité de faire tout. Le nombre n'en est que trop grand, et l'on n'entend que trop débiter cette erreur, qui est sans contredit la plus pernicieuse de toutes, et la plus destructive des bonnes mœurs. Un relâchement dans la morale ne produit qu'un désordre; mais une morale outrée, jusqu'à être jugée impraticable, en produisant le désespoir, enfante tous les désordres. 1 Est-il besoin d'avertir que Jésus-Christ ne loue pas ici l'art de faire valoir son argent en le plaçant à intérêt, mais seulement le travail et l'industrie de ceux qui l'ont fait ? De même que, dans un autre endroit, il propose pour exemple, non pas la fraude, mais l'habileté de l'économie infidèle. 2 Puisque les dix marcs lui étaient restés, le maître lui en laissait donc la propriété; ce qui fait bien voir que, lorsqu'il avait fait travailler ses serviteurs, c'était pour leur profit, et non pour le sien. Il en est de même de Dieu à notre égard. Il nous laisse tout le profit du bien que nous faisons, et n'en veut pour lui que la gloire. Malheur à qui voudrait usurper cette port de Dien! il perdrait 26. Dico autem vobis, quia omni habenti dabitur, et abundabit: ab eo autem qui non habet, et quod habet auferetur ab eo. 27. Verumtamen inimicos meos illos qui noluerunt me regnare super se, adducite huc, et interficite ante me. ע »je vous dis qu'à tout homme qui a, on » lui donnera, et il sera dans l'abondance; mais, à celui qui n'a pas, on lui ôtera » même ce qu'il a. Pour ce qui est de mes ennemis, » ces hommes qui n'ont point » voulu que je fusse leur roi, amenez-les ici, et faites-les mourir en ma présen >>ce. » Jésus devait partir incessamment de ce monde pour aller recevoir des mains de son Père l'investiture de l'empire souverain qu'il exercera éternellement sur toute la nature. Après son départ, les Juifs, qui devaient être ses premiers sujets, et qui auront été ses meurtriers, combleront la mesure de leurs crimes en persistant à ne vouloir pas qu'il règne sur eux. Ses apôtres et les premiers fidèles qu'ils mettront à mort seront comme les députés qu'ils enverront au ciel déclarer que leur parti est pris, et qu'ils ne le reconnaîtront point pour leur roi. Un jour, il reviendra dans toute la pompe, et avec toute la puissance qui accompagne l'autorité souveraine; il citera à son tribunal ces coupables endurcis, il les forcera à reconnaître enfin ses droits et à confesser leur perfidie, et les livrera aux exécuteurs de ses éternelles vengeances. Ce jour est celui du jugement dernier, dont un autre jour qui doit le précéder, sera la figure. C'est celui où, livrés aux Romains destinés à être les premiers vengeurs du Messie méconnu et outragé, des millions de ces misérables périront par le fer et par le feu. Voilà quel est l'objet principal de cette parabole prophétique. Nous avons dit que même avant l'événement on pouvait entrevoir le sens qu'elle renferme, parce qu'on y voit clairement le départ de ce roi, figure du Messie, pour un pays éloigné, sa longue absence, et son retour signalé par des châtiments qu'une rébellion opniâtre n'avait que trop jus par là tout le profit; et au lieu de cette gloire, l'objet de sa folle ambition, il n'aurait que la honte de n'avoir pas su discerner ce qui appartenait à Dieu, et ce qui lui convenait à lui-même. tement mérités. La reddition de compte par les serviteurs, quoiqu'elle occupe une place si considérable dans la parabole, n'en est donc qu'une partie intégrante? Cela est vrai; mais cette partie n'en est pas pour cela moins utile. C'est l'instruction des chrétiens, jointe à l'instruction des Juifs. Jésus-Christ, qui parlait du jugement, a voulu se servir de cette occasion pour nous apprendre que sa justice ne s'y bornera pas à tirer vengeance de ceux qui l'auront méconnu, mais encore qu'elle y demandera à ceux qui l'auront reconnu un compte exact des biens qu'il leur aura confiés. Par la même occasion, il nous apprend aussi avec quelle immense profusion il récompensera ceux qui les auront fait valoir, et avec quelle sévérité il traitera ceux qui n'en auront tiré aucun profit. Que réserve-t-il donc à celui qui les aura dissipés et perdus? L'histoire suivante a tant de rapports avec une autre qu'on vient de lire, que l'on croit, avec assez de fondement, que c'est la même histoire. Tout s'y ressemble, à deux circonstances près. La première ne parle que d'un aveugle guéri, et la seconde en rapporte deux; ce fut avant d'entrer à Jéricho que Jésus-Christ rencontra le premier aveugle, et la guérison des deux autres est placée à la sortie de cette ville. Cette dernière différence est ce qui a fait le plus douter si ce ne serait pas en effet deux miracles différents, d'autant plus qu'il n'était pas absolument impossible que les circonstances qui sont semblables se rencontrassent dans l'un comme dans l'autre. Quoi qu'il en soit, comme rien n'est à perdre dans une matière aussi précieuse que l'est celle-ci, on a mieux aimé s'exposer au hasard d'une redite qu'à celui d'une omission. « Après donc que Jésus eut prononcé cendens Jerosolymam. » la parabole précédente, il prit le che » min de Jérusalem, marchant le premier. > Comme il sortait de Jéricho, une grande multitude de peuple le suivit. Deux aveugles, dont l'un s'appelait Bartimée, fils » de Timée, qui étaient assis près du chemin, entendant dire que Jésus passait, » se mirent à crier : Seigneur, fils de David, Luc, 19, 28. Et his dictis, præcedebat as Matth. 20, 29. Et egredientibus illis ab Jericho, secuta est Ecce duo cæci, Marc. eum turba multa. 30. 10, 46, filius Timæi Bartimeus, Matth. 20, 30, sedentes secus viam, audierunt quia Jesus transiret; et cla maverunt dicentes : Domine, miserere nostri, Fili David. 31. Tur |