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INTRODUCTION.

La France est le véritable pays de la philosophie; non pas de ces spéculations creuses, de ces prophéties et de ces systèmes qui fatiguent la pensée sans l'éclairer, mais de la philosophie claire, sensée et pratique. Nous avons Descartes, et c'est tout dire. Leibnitz est presque à nous c'est un esprit français; il est, à beaucoup d'égards, cartésien; il adopte notre langue. Malebranche compte au rang des métaphysiciens les plus profonds. Pour rester à la tête de la philosophie, nous n'avons qu'à entretenir avec un soin pieux le culte des grands maîtres qui honorent la philosophie française. Descartes, Pascal, Arnauld, Nicole, Bossuet, Fénelon, Malebranche, voilà la nourriture solide qui doit fortifier nos esprits. Nous n'avons pas besoin d'autres maîtres. Où trouver une meilleure école pour la pensée, une plus sage discipline pour les mœurs, des modèles plus accomplis pour le style? Malebranche s'adresse également aux philosophes et aux âmes pieuses : c'est un métaphysicien et un moraliste; il éclaire l'intel-ligence, il échauffe le cœur, il tourne l'âme vers tout ce qui est bien. On a pu lui reprocher d'être un rêveur; mais n'est-ce pas ce même reproche que les esprits vulgaires adressent à Platon? Malebranche est un penseur de la famille de Platon et de saint Augustin, mais il est en même

temps disciple de Descartes; et il a brillé au xvne siècle, entre Leibnitz et Bossuet.

Sa vie est fort simple1. Il naquit à Paris, le 16 août 1638, d'un secrétaire du roi et d'une femme titrée. Il était le dernier de six enfants. Une complexion délicate, un vice de conformation, et, plus encore, la tournure de son esprit et de son caractère, l'ayant déterminé à entrer dans les ordres, il fit sa philosophie au collége de la Marche, sa théologie en Sorbonne, et entra à l'Oratoire en 1660, après avoir refusé un canonicat qu'on lui offrait à NotreDame de Paris. Son génie particulier ne se révéla pas d'abord, et les supérieurs de la congrégation hésitèrent sur le genre d'études auquel il conviendrait de l'appliquer. Le Père Lecointe lui persuada de s'adonner à l'histoire ecclésiastique. Il lut en grec Eusèbe, Socrate, Sozomène et Théodoret; mais il ne se sentait pas fait pour l'érudition historique; les faits s'arrangeaient mal dans sa tête; son esprit n'était pas rempli. Richard Simon voulut lui apprendre l'hébreu; il entreprit cette nouvelle étude sans plus de succès, et ne tarda pas à l'abandonner. Le seul fruit qu'il en retira fut de pouvoir lire l'Écriture dans le texte. Malgré son dégoût et son aversion pour l'érudition en général, il était fort versé dans la connaissance des Écritures et des Pères; il trouvait là des pensées trop analogues à ses propres sentiments pour n'en pas faire sa lecture et son occupation habituelle; et quand plus tard, ayant ouvert par hasard les ouvrages de Descartes, il se livra et se remit entre ses mains, ce fut en réservant sa confiance filiale pour les vérités de la foi, et à condition de demeurer uni de cœur et d'âme à la tradition de l'Eglise et à la foi catholique 2.

1. Le P. André, de la compagnie de Jésus, et le P. Adry, de l'Oratoire, avaient écrit la vie de Malebranche. Ces ouvrages n'ont pas été publiés.

2. Sixième Entr., 1.

Personne n'ignore que ce fut en lisant le Traité de I Homme que Malebranche se trouva lui-même. Cet ouvrage de Descartes est bien loin de compter au rang de ses chefs-d'œuvre; et Descartes lui-même semble l'avoir jugé ainsi, puisqu'il ne l'acheva point; mais Malebranche, qui entrait par cette voie dans le cartésianisme, fut si frappé de cette liberté d'esprit, de cette parfaite indépendance, de cette méthode toute nouvelle de conduire l'esprit par l'évidence de la raison, sans blesser l'autorité de la foi; il découvrit dans la conduite de l'ouvrage des principes si lumineux et d'une application à la fois si générale et si simple; enfin il se sentit attiré par une vocation si irrésistible vers l'étude de la nature humaine, qu'il lui prit des battements de cœur qui, plus d'une fois, l'obligèrent d'interrompre sa lecture. Dès ce moment il ne fut plus question de grec ni d'hébreu, et Malebranche appartint sans réserve à la philosophie; non pas à cette philosophie de l'école qui régnait alors, toute nourrie d'érudition et plus occupée de s'accorder avec Aristote qu'avec le bon sens, mais à la philosophie cartésienne, n'ayant pour point de départ que l'observation et pour règle que l'évidence. Il s'appropria en peu de temps toute la doctrine de son nouveau maître; et il disait que si les ouvrages de Descartes venaient à être perdus, il se faisait fort de les rétablir.

On peut dire que la philosophie de Descartes, qui certes n'a pas été improvisée, a pourtant été faite d'un seul coup, tant il y a de persévérance et d'opiniâtreté dans le génie du maître. On sent, à n'en pouvoir douter, que tout est de lui dans cet édifice, et qu'il en a été, comme il le dit, le seul architecte. C'est un esprit absolu et tout d'une pièce, qui défie les objections et les méprise. Il est déjà tout entier dans son premier mot. Par opposition aux philosophes de l'école, touchés d'un si grand respect pour les opinions

reçues, Descartes commence par le doute méthodique; et le doute méthodique, qu'est-ce, sinon la proscription de toute autorité et un appel à la raison individuelle1? Quand Descartes admet ensuite pour première vérité sa propre existence, et pour souveraine et unique autorité la clarté et l'évidence de ses conceptions, il ne fait que reconnaître sa route et s'y affermir. Une fois en possession de luimême, il se définit une substance pensante 2; et comme il se sent contingent et limité, et qu'en même temps il a l'idée de l'infini, il en conclut hardiment que l'infini existe, marchant ainsi de la conséquence au principe, parce que, comme Malebranche le dira plus tard, en traduisant le système de son maître dans le sien, « rien de fini ne peut représenter l'infini, et l'idée de Dieu est nécessairement Dieu lui-même. » L'idée de la matière, c'est-à-dire, pour Descartes, d'une substance étendue, n'implique pas l'existence de la matière; car il y a moins de perfection dans cette idée que dans l'esprit qui la conçoit; mais elle se présente si naturellement à la pensée, elle se lie à tant de sentiments et de perceptions diverses, que Dieu qui a fait l'homme, et l'a créé avec cette idée de substance étendue dans des rapports si intimes et si fréquents, manquerait de véracité, et ferait de nous le jouet d'une illusion fatale si la matière n'existait pas ". Ainsi se développe la pensée de Descartes le doute méthodique est le commencement et la condition de sa philosophie; l'évidence des conceptions en est la règle; l'existence du moi, comme substance pensante, en est le point de départ, et s'affirme sans démonstration par l'impossibilité du doute. Nous savons que

:

1. Descartes, troisième Règle pour la Direction de l'esprit. — Méd., 6.

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2. Il n'y a rien en nous que nous devions attribuer à notre âme, sinon nos pensées. » Traité des Passions, 17.

3. Descartes, Méd. 3; Principes, 18, 14, 20, 21,

4. Id, Méd., 6.

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