Le Singe de fa part difoit: Venez de grace, Venez, Meffieurs : je fais cent tours de passe-passe. Cette diverfité dont on vous parle tant,
Mon voifin Léopard l'a fur foi feulement : Moi je l'ai dans l'efprit: votre ferviteur Gille, Coufin & gendre de Bertrand,
Singe du Pape en fon vivant,
Tout fraîchement en cette ville
'Arrive (1) en trois batteaux, exprès pour vous parler:
Car il parle, on l'entend, il fait danfer, baler, Faire des tours de toute forte,
Paffer en des cerceaux ; & le tout pour fix blancs: Non, Meffieurs, pour un fou : fi vous n'étes contens Nous rendrons à chacun fon argent à la porte.
Le Singe avoit raison : ce n'est pas fur l'habit Que la diverfité me plaît, c'est dans l'efprit:
(1) C'eft une façon de parler fort ufitée encore parmi le peuple de Paris. Lorsqu'on lui furfait, par exemple, du poiffon, comme le Merlan, le Maquereau, &c. l'acheteur, pour en ravaler le prix, répond ironiquement au vendeur, Oh je le vois bien, ce Poisson eft venu en trois bateaux. Celui qui le premier imagina ce trait, trouva plaifant de comparer la méchante petite barque d'un Pêcheur à un vaiffeau Marchand richement chargé, qui auroit été escorté par deux vaiffeaux de guerre, d'où le Propriétaire prend droit d'augmenter le prix de fes Mar
chandifes à proportion de ce que lui a coûté le convoi. La plaifan- terie plut au peuple : & ici La Fontaine a trouvé le moyen de la mettre agréablement en œu- vre, quelque fade qu'elle foit en elle-même. Car pour relever plaifamment le mérite du Singe, il lui fait dire à lui-même, qu'il vient d'arriver à Paris en trois bateaux: & par là, tout le ridi- cule de cette expreffion, que le Peuple n'emploie jamais que dans un fens ironique, tombe directement fur Gille,
Coufin gendre de Bertrand Singe du Pape en fon vivant.
L'une fournit toujours des chofes agréables, L'autre, en moins d'un moment, laffe les regardans.
O que de grands Seigneurs, au Léopard femblables, l'habit pour tous talens !
DIeu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la
En tout cet Univers, & l'aller parcourant, Dans les Citrouilles je la treuve.
Un Villageois, confidérant
Combien ce fruit eft gros, & fa tige menue, A quoi fongeoit, dit-il, l'Auteur de tout cela? Il a bien mal placé cette Citrouille-là : Hé, parbleu, je l'aurois pendue A l'un des Chênes que voilà. C'eût été justement l'affaire :
Tel fruit, tel arbre pour bien faire.
C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré Au confeil de celui que prêche ton Curé : Tout en eût été mieux : car pourquoi, par exemple, Le Glan qui n'eft pas gros comme mon petit doigt, Ne pend-il pas en cet endroit ?
Dieu s'eft mépris: plus je contemple Ces fruits ainfi placés, plus il femble à Garo
Que l'on a fait un (1) quiproquo.
Cette réfléxion embarrassant notre homme; On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'efprit. Sous un Chêne auffi-tôt il va prendre fon fomme. Un Glan tombe: le nez du dormeur en patit. Il s'éveille; & portant la main fur fon vifage, Il trouve encor le Glan pris au poil du menton. ́ Son nez meurtri le force à changer de langage: Oh, oh, dit-il, je faigne ! Et que feroit-ce donc S'il fût tombé de l'arbre une maffe plus lourde, Et que ce Glan eût été (a) Gourde? Dieu ne l'a pas voulu : fans doute il eut raison: J'en vois bien à present la cause.
En louant Dieu de toute chofe Garo retourne à la maison.
(a) Efpece de calebaffe moins groffe qu'une citrouille.
L'Ecolier, le Pédant, & le Maître d'un Jardin.
Certain enfant qui fentoit fon Collége,
Doublement fot & doublement fripon, Par le jeune âge & par le privilége Qu'ont les Pédans de gâter la raifon, Chez un voifin déroboit, ce dit-on, Et fleurs & fruits. Ce voifin en Automne
Des plus beaux dons que nous offre Pomone Avoit la fleur, les autres le rebut.
Chaque faifon apportoit fon tribut: Car au Printemps il jouiffoit encore
Des plus beaux dons que nous préfente Flore. Un jour dans fon jardin il vit notre Ecolier, Qui grimpant, fans égard, fur un arbre fruitier, Gâtoit jufqu'aux boutons, douce & frêle efpérance, Avant-coureurs des biens que promet l'abondance. Même il ébranchoit l'arbre ; & fit tant à la fin, Que le poffeffeur du jardin
Envoya faire plainte au Maître de la Claffe. Celui-ci vint fuivi d'un cortège d'enfans. Voilà le Verger plein de gens que le premier. Le Pédant, de fa grace, Accrut le mal en amenant
Cette jeuneffe mal instruite :
Le tout, à ce qu'il dit, pour faire un châtiment Qui pût fervir d'exemple; & dont toute fa fuite Se fouvint à jamais comme d'une leçon. La deffus il cita Virgile & Ciceron,
Avec force traits de science.
Son difcours dura tant, que la maudite engeance Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin.
Je hais les Pièces d'éloquence
Hors de leur place, & qui n'ont point de fin; Et ne fais bête au monde pire
Que l'Ecolier, fi ce n'eft le Pédant.
Le meilleur de ces deux pour voifin, à vrai dire, Ne me plairoit aucunement.
Le Statuaire & la Statue de Jupiter. UN (1) bloc de marbre étoit fi beau,
Qu'un Statuaire en fit l'emplette : Qu'en fera, dit-il, mon cizeau? Sera-t-il Dieu, table, ou cuvette?
Il fera Dieu : même je veux Qu'il ait en fa main un tonnerre. Tremblez, humains: faites des vœux: Voilà le Maître de la Terre.
L'artifan exprima fi bien
Le caractére de l'Idole,
Qu'on trouva qu'il ne manquoit rien
A Jupiter que la parole.
Même l'on dit que l'Ouvrier Eut à peine achevé l'image, Qu'on le vit frémir le premier, Et redouter fon propre ouvrage.
A la foibleffe du Sculpteur, Le Poëte autrefois n'en dut guére Des Dieux dont il fut l'inventeur Craignant la haine & la colere.
(1) Piéce de marbre, telle qu'on l'a tirée de la carriéres
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